Lundi, au sud du Litani, l’armée libanaise n’a pas seulement conduit une visite de terrain. Elle a livré, à travers une tournée soigneusement calibrée à l’intention d’ambassadeurs, de chargés d’affaires et d’attachés militaires, une démonstration méthodique de son action dans une région devenue l’épicentre de toutes les suspicions.
Depuis le commandement du secteur à Tyr, le commandant en chef de l’armée, le général Rodolphe Haykal, a exposé aux représentants étrangers les contours de la première phase du plan déployé dans le Sud, conformément aux décisions des autorités politiques et aux engagements internationaux du Liban. Il s’agissait là d’une présentation technique, loin des slogans, axée sur les missions accomplies, les contraintes opérationnelles et les réalités du terrain.
Selon une source militaire interrogée par Ici Beyrouth, cette initiative répond à un double impératif. D’une part, permettre à la communauté diplomatique de constater directement ce qui est mené sur le sol. D’autre part, opposer des faits à une campagne persistante affirmant que l’armée libanaise resterait inactive au sud du Litani. «Il y a une bataille de récits en cours. Certains cherchent à justifier les frappes israéliennes en affirmant que rien n’est fait côté libanais. L’armée a choisi de répondre par la transparence, mais une transparence maîtrisée», explique-t-on de même source.
Des inspections ciblées, secteur par secteur
Sur le terrain, les diplomates ont été conduits vers plusieurs positions et zones sensibles, notamment dans des secteurs durement touchés par la guerre. Ils ont pu observer le déploiement des unités, la proximité immédiate avec les lignes israéliennes et la complexité d’un environnement fait de vallées, de reliefs escarpés et de zones boisées.
Toujours selon la source militaire, le travail de l’armée s’effectue dans le cadre du mécanisme de supervision du cessez-le-feu. Lorsqu’un renseignement est transmis – qu'il provienne d’Israël, de la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (Finul) ou du mécanisme – signalant un dépôt d’armes ou une installation suspecte, les unités sont dépêchées sur place. «Si le site existe, il est inspecté. Ce qui peut être exploité par l’armée est saisi, le reste est neutralisé ou détruit», précise-t-on à Ici Beyrouth de source susmentionnée.
Et de souligner que nombre de ces opérations sont menées dans des zones ouvertes (montagnes, vallées, terrains difficiles) historiquement utilisées pour dissimuler des infrastructures militaires. Le sud du Litani est ainsi découpé en secteurs géographiques successifs, ratissés méthodiquement. Une fois une zone entièrement inspectée, elle est déclarée sécurisée et signalée comme telle au mécanisme international, avant le passage au secteur suivant.
Une prudence constante sur un terrain piégé
La tournée a également permis d’aborder une réalité rarement visible: les risques encourus par les unités sur le terrain. Certains sites inspectés présentent des dangers importants, notamment en raison de dépôts potentiellement piégés ou dégradés par le temps, l’humidité et les conditions de stockage. «Il arrive que des explosions surviennent sans que l’on puisse déterminer immédiatement s’il s’agit d’un sabotage, d’un piège ou d’une défaillance technique», confie le responsable militaire.
Concernant les habitations privées, notre interlocuteur insiste sur un point sensible: l’armée n’y intervient pas de manière systématique. «Les perquisitions ne sont effectuées que sur la base d’informations précises. Elles ne constituent ni une pratique généralisée ni un objectif en soi». Des cas récents, notamment dans certaines localités du Sud, ont donné lieu à des fouilles ciblées, sans qu’aucune présence d’armes ne soit confirmée.
Montrer plutôt que diffuser
Un moment central a, par ailleurs, marqué la tournée du lundi: la visite d’une ancienne installation du Hezbollah désormais sous contrôle de l’armée. Un choix délibéré, différent de celui opéré lors de la précédente tournée, organisée en novembre dernier, à l’intention des médias. «Cette fois, il ne s’agissait pas seulement de répondre à une vague de critiques publiques. Il s’agissait plutôt d’armer politiquement les capitales étrangères d’éléments factuels, afin qu’elles puissent, à leur tour, juger sur pièces», précise-t-on.
Il est, dans ce contexte, à noter, selon notre source, que toutes les opérations menées par l’armée libanaise depuis la conclusion du cessez-le-feu en 2024, sont documentées, filmées et archivées, mais que leur diffusion reste volontairement limitée. La raison en est simple, signale le responsable militaire: «Il y a un souci de protection des habitants, de leurs familles et aussi de ne pas fournir d’informations exploitables à l’ennemi. Montrer ne signifie pas forcément exposer».
L’armée a ainsi privilégié un canal indirect: permettre aux représentants étrangers de constater par eux-mêmes, puis de relayer à leurs capitales une image plus fidèle de la situation sur le terrain. Plusieurs diplomates présents ont salué, en aparté, le professionnalisme des unités et la clarté des explications fournies.
Un message avant les échéances à venir
Cette tournée s’inscrit dans un calendrier diplomatique particulièrement chargé, à l’approche de réunions décisives, à commencer par celle de Paris consacrée, le 18 décembre, au soutien à l’armée libanaise et aux prochaines étapes du mécanisme. À cette rencontre seront notamment présents le commandant en chef de l’armée, l’émissaire américaine, Morgan Ortagus, l’envoyé saoudien, Yazid ben Farhane et la conseillère française pour le Moyen-Orient, Anne-Claire Legendre.
Pour l’institution militaire, il s’agit aussi de rappeler une équation centrale: la consolidation du contrôle étatique au sud du Litani est un processus progressif, exigeant du temps, des moyens et une couverture politique claire. «L’armée fait ce qui lui a été demandé, avec des ressources limitées et sous une pression constante», résume le responsable militaire. «Le reste dépendra aussi de la volonté de la communauté internationale de soutenir cet effort au lieu de le juger à distance», poursuit-il.
Ainsi, au sud du Litani, l’armée aura-t-elle mis à nu ses positions. Reste à savoir si ce qu’ont vu les diplomates pèsera, dans les jours et les semaines qui suivent, dans les décisions prises loin du terrain.




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