Depuis plusieurs semaines, une question centrale s’impose dans les cercles diplomatiques et sécuritaires: où se situera le prochain choc majeur ? Sera-t-il dirigé d’abord contre le Hezbollah au Liban, ou contre l’Iran, son parrain stratégique ? Et si l’Iran devait être frappé en premier, quel en serait l’impact réel sur le Hezbollah et sur l’équilibre libanais ?
Pris isolément, les frappes israéliennes répétées au Liban-Sud, les avertissements de guerre de plus en plus explicites, les signaux envoyés par Tel-Aviv, Téhéran et le Hezbollah, ainsi que des événements en apparence périphériques – comme la tuerie de Sydney et les regards tournés vers l’Iran – peuvent sembler disparates. Mis bout à bout, ils dessinent pourtant une séquence cohérente.
Sur le terrain, l’enjeu n’est pas tant l’escalade en elle-même que la séquence à venir: qui de l’Iran ou du Hezbollah au Liban, Israël frappera en premier et avec quelles conséquences stratégiques ? Sans céder à la spéculation ni aux scénarios hâtifs, Ici Beyrouth propose une lecture des événements récents à partir de faits établis, afin d’en dégager les logiques profondes et les scénarios plausibles.
Frapper le «nid», pas les guêpes
Pour le général à la retraite, Maroun Hitti, la logique actuellement envisagée par Israël serait celle d’un changement de cible. Plutôt que de s’épuiser à frapper les guêpes (le Hezbollah en l’occurrence), Tel-Aviv pourrait être tenté de viser directement le «nid», à savoir l’Iran, centre de gravité stratégique de l’ensemble des proxies régionaux. Une approche qu’il juge «raisonnable et logique» sur le plan militaire.
Reste toutefois la question centrale: une frappe contre l’Iran serait‑elle de nature à déstabiliser réellement le Hezbollah ? L’expérience récente invite à la prudence. Les frappes israéliennes, menées en juin dernier, contre des cibles iraniennes, ont affaibli le régime et ses réseaux, sans pour autant provoquer l’effondrement des structures ni la désintégration de ses relais régionaux. «À supposer que l’Iran devienne la prochaine cible et à supposer également que les frappes envisagées soient de même nature que celles menées lors de la guerre des 12 jours (entre l’Iran et Israël), on peut s’attendre à un nouvel affaiblissement, sans pour autant que cela conduise à une déstabilisation susceptible de remettre fondamentalement en cause les capacités du régime et de ses relais», souligne le général Maroun Hitti.
L’expert militaire rappelle, à cet effet, les contraintes objectives. L’Iran n’est pas un acteur périphérique, mais un État de plus de 1,5 million de kilomètres carrés et près de 85 millions d’habitants, doté de centres de pouvoir multiples, dispersés et hautement sécurisés. Identifier les véritables centres de gravité dont la neutralisation pourrait entraîner la chute du régime supposerait une analyse approfondie. «Militairement, c’est possible. Politiquement, c’est une tout autre question», tranche-t-il, refusant toute spéculation hâtive.
Et le Hezbollah dans tout ça ? La milice pro-iranienne, elle, continue de proclamer qu’elle est prête à toute éventualité. Or, derrière cette posture, plusieurs fragilités apparaissent. Militairement, le mouvement est affaibli même s’il parvient, quelque peu, à se reconstituer. Politiquement, il est de plus en plus isolé dans un Liban exsangue. Socialement, sa base paie le prix d’une confrontation prolongée à bas bruit. Stratégiquement, sa dépendance à l’Iran demeure totale. «C’est là que le nœud se resserre: le Hezbollah peut absorber des frappes israéliennes limitées tant que Téhéran reste un pilier stable», déclare-t-on de source sécuritaire. Si ce pilier vacille, toute l’architecture de la dissuasion régionale s’en trouve fragilisée. La question centrale est donc moins de savoir, selon cette source, si une frappe directe contre le Hezbollah pourrait le réduire, que de mesurer l’impact sur le mouvement d’une frappe contre son parrain stratégique.
Une opportunité pour l’État libanais: la dernière ?
Selon le général Hitti, c’est au Liban que la phase actuelle revêt une portée décisive. Il parle d’un point d’inflexion stratégique et d’une opportunité peut‑être ultime pour l’État libanais: celle de rendre interne une réalité longtemps différée. Le problème libanais, insiste-t-il, est d’abord propre au pays avant d’être régional et relève de l’existence d’un acteur armé non étatique – le Hezbollah – qui agit en dehors du cadre de l’État et contribue à sa destruction.
D’après lui, si l’État libanais parvient à adopter une position claire et assumée vis‑à‑vis du Hezbollah, la confrontation pourrait encore être gérée politiquement. À défaut, avertit-il, cette clarté sera imposée de l’extérieur. Et si un conflit devait éclater, il ne s’agirait ni d’une guerre ouverte ni d’un simple échange symbolique de frappes. Il serait limité dans le temps, mais conçu pour produire un maximum d’effets, avec un objectif précis: clore définitivement le dossier du Hezbollah.
Dans cette perspective, l’objectif stratégique international au Liban ne serait plus la stabilité immédiate, mais l’instauration d’un nouvel état d’équilibre, auquel seulement pourrait succéder une phase de stabilisation. Le risque d’escalade, conclut Maroun Hitti, est élevé. La durée des négociations, faible. Et croire encore à la possibilité de contenir durablement la situation relève désormais, selon lui, de l’illusion. D’autant plus que, les premières semaines de janvier, confie-t-il, pourraient se traduire par deux scénarios: soit des concessions politiques majeures de la part du Hezbollah, ce qu’il estime peu probable, soit une escalade militaire violente mais circonscrite dans le temps. Dans l’intervalle, les négociations devraient se poursuivre sous forte pression, les frappes se maintenir, confirmant ainsi l’échec du cessez-le-feu conclu en novembre 2024.




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