L’arrivée du pape Léon XIV au Liban marque un tournant pour un pays engagé dans une reconstruction institutionnelle attendue depuis des décennies. C’est la troisième visite d’un souverain pontife en trente ans, mais la première à se tenir dans un Liban doté d’un pouvoir à la fois légitime, consensuel et réellement maître de ses décisions.
1996 : Jean-Paul II dans un Liban sous tutelle
Lorsque Jean-Paul II se rend au Liban en 1996, le pays vit encore sous la tutelle sécuritaire syrienne. Arrestations arbitraires, exils forcés, censure et restrictions des libertés civiles rythment le quotidien. Les partis politiques – notamment chrétiens – sont marginalisés, leurs dirigeants surveillés ou réduits au silence. Dans ce contexte, l’appel vibrant du pape à la dignité humaine agit comme un souffle d’espérance, un rappel que la souveraineté ne peut être indéfiniment confisquée.
2012 : Benoît XVI dans un pays libéré, mais pas encore souverain
En 2012, Benoît XVI est accueilli dans un Liban libéré de la présence syrienne mais toujours traversé par un déséquilibre profond. Le Hezbollah impose un nouveau rapport de force, qui culmine avec les événements de mai 2008 et les accords de Doha, instaurant le principe du « tiers de blocage ». La chute du gouvernement Hariri en 2011, au moment même où le Premier ministre entre dans le Bureau ovale à Washington, illustre la fragilité d’institutions paralysées par la puissance d’un acteur armé extérieur à l’État.
À cela s’ajoute le début de la révolution syrienne et la montée du fondamentalisme islamiste, période durant laquelle la propagande conjointe du Hezbollah et du régime Assad met en avant la prétendue « protection » des chrétiens. Un récit qui sert avant tout à justifier des politiques de contrôle, de neutralisation de l’État et d’étouffement du pluralisme.
2025 : Léon XIV et l’image d’un État qui se réaffirme
Avec Léon XIV, le décor a changé. Le pape est accueilli par le président Joseph Aoun, élu dans un consensus national inédit et à la tête d’un pouvoir pleinement légitime, accompagné d’un exécutif conduit par le Premier ministre Nawaf Salam. Pour la première fois depuis longtemps, l’État apparaît capable de choix autonomes, loin des injonctions extérieures.
Le terme « consensus », souvent vidé de sens, retrouve sa définition première : un accord au service du bien commun, et non la caution d’un statu quo imposé par un groupe armé.
Le message du pape, empreint de paix et d’humanité, vise les consciences davantage que les urnes : la paix n’est pas un luxe mais une nécessité, et chaque Libanais – chrétien ou musulman – a droit à la dignité et à la sécurité.
Un geste politique majeur : la nomination de Simon Karam
Quelques heures à peine après le départ du pape, le président Joseph Aoun confirme l’orientation souverainiste de son mandat. Il nomme l’ex-ambassadeur à Washington, Simon Karam, au comité de supervision du cessez-le-feu avec Israël dans le cadre du mécanisme de Naqoura.
Souverainiste assumé, figure respectée de la diplomatie libanaise, Karam incarne une approche fondée sur le dialogue, sans renoncer ni à la dignité nationale ni à l’autorité de l’État.
Malgré l’opposition du Hezbollah, qui voit dans cette nomination un pas vers la « normalisation », le Liban institutionnel s’affirme. En choisissant un diplomate civil reconnu pour son intégrité, l’État rappelle que la sécurité nationale ne peut dépendre d’agendas étrangers mais doit servir une vision souveraine d’équilibre et de stabilité.
Sur le terrain : l’armée reprend l’initiative
Les récentes opérations de l’armée libanaise – démantèlement de caches d’armes, découverte de tunnels souterrains – illustrent une institution qui assume ses prérogatives. Elle veille au respect du cessez-le-feu, sécurise les frontières et réaffirme le rôle exclusif de l’État dans le monopole légitime de la force.
Naqoura : un format inédit depuis 1983
À Naqoura, la réunion officielle réunissant représentants libanais et israéliens confirme le rôle central de Morgan Ortagus, envoyée spéciale du président Donald Trump.
Actrice clé du dossier du désarmement du Hezbollah, elle a contribué au passage d’un mécanisme strictement sécuritaire à un espace de dialogue politique. Pour la première fois depuis l’échec de 1983, l’État libanais exerce son autorité dans un cadre bilatéral officiel – une rupture profonde avec les décennies où des acteurs armés dictaient les lignes rouges.
Ce pas s’inscrit dans une dynamique régionale où le dialogue – longtemps perçu comme tabou – devient non seulement possible, mais nécessaire.
Un intérêt international renouvelé
Dans le sillage de la visite papale, une délégation des 15 membres du Conseil de sécurité de l’ONU s’apprête à se rendre au Liban et en Syrie pour une mission de quatre jours. Objectif : évaluer les progrès réalisés dans la stabilisation d’une région longtemps perçue comme volatile, à quelques mois de la fin du mandat de la FINUL, prévue le 31 décembre 2026.
Plus qu’un voyage : un signal politique majeur
La visite de Léon XIV dépasse largement le cadre protocolaire. Elle consacre l’émergence d’un État réaffirmé, capable de protéger ses citoyens et de défendre ses choix.
Elle marque le retour d’un consensus fondé sur les institutions et non sur les rapports de force.
Elle réhabilite la notion d’« État fort » comme synonyme de souveraineté et non de clientélisme.
Elle remet au centre la liberté, la dignité et la paix comme piliers d’un avenir commun.
Après des décennies de tensions, d’ingérences et de paralysies, le Liban offre enfin l’image d’un pays qui, lorsqu’il décide d’assumer ses responsabilités, peut redevenir un acteur de sa propre histoire.




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