Classer la confrérie comme organisation terroriste s’appuie sur un processus de vérification des activités de chaque branche du mouvement. Cette mesure pourrait compliquer les relations avec certains alliés perçus comme proches de la confrérie.
Le président américain Donald Trump a annoncé dimanche son intention de classer la confrérie des Frères musulmans comme «organisation terroriste étrangère», une information reprise le lendemain par le compte X de la Maison Blanche. Une décision qui pourrait être susceptible d’avoir d’importantes répercussions sur la politique américaine et les équilibres géopolitiques au Moyen-Orient. «Cela sera fait dans les termes les plus forts et les plus puissants», a déclaré M. Trump au site Just the News, précisant que «les documents finaux sont en cours de rédaction».
Cette initiative, évoquée depuis le premier mandat de Donald Trump, n’avait jamais été formalisée jusqu’ici, notamment en raison de la complexité juridique et du caractère transnational du mouvement. Les Frères musulmans, fondés en Égypte en 1928 et présents dans différents pays, disposent de multiples branches, avec des activités variant de l’action politique légale à des réseaux accusés de soutenir des groupes violents.
Une désignation aux effets juridiques significatifs
Classer la confrérie comme foreign terrorist organization (FTO) relève normalement du Département d’État, après examen approfondi des activités terroristes ou subversives attribuées à l’organisation.
La désignation entraîne notamment le gel des avoirs et l’interdiction de soutien matériel, y compris financier ou logistique, à l’organisation, des sanctions pénales contre les individus ou institutions qui lui fourniraient un soutien, ainsi que des restrictions migratoires pour les membres ou sympathisants.
Le processus exige un examen détaillé pays par pays des branches affiliées. Le secrétaire d’État américain Marco Rubio a rappelé en août 2025 que «les différentes branches des Frères musulmans doivent être examinées individuellement, et il faut documenter et justifier ce qui est visé».
Le président peut toutefois décider d’une désignation temporaire par décret exécutif, valable un an, en attendant le processus complet de l’État.
Pressions politiques et initiatives législatives
Plusieurs élus américains, surtout républicains, ont multiplié les appels à une désignation fédérale. Le sénateur Ted Cruz a affirmé en juillet 2025 que «les Frères musulmans sont une organisation terroriste et fournissent un soutien à des branches qui sont elles-mêmes terroristes». Il a ajouté que le mouvement «constitue une menace aiguë pour la sécurité nationale américaine et pour d’autres gouvernements non islamistes dans le monde».
Le représentant démocrate Jared Moskowitz, cosponsor du Muslim Brotherhood Terrorist Designation Act, a souligné que «les Frères musulmans ont un historique documenté de promotion du terrorisme contre les États-Unis, leurs alliés et leur société». L’objectif de ce projet de loi est de bloquer tout financement américain à des activités liées au mouvement et d’empêcher l’entrée aux États-Unis des individus qui y sont affiliés.
Le think tank Foundation for Defence of Democracies (FDD) a estimé que «la mise en œuvre d’une approche plus systématique contre la confrérie était attendue depuis longtemps» et a recommandé de «désigner la confrérie et ses filiales comme organisations terroristes étrangères».
Le précédent texan et la controverse autour de CAIR
L’annonce fédérale de Trump fait suite à une initiative inédite de l’État du Texas, où le gouverneur républicain Greg Abbott a désigné, le 18 novembre 2025, les Frères musulmans et le Council on American-Islamic Relations (CAIR) comme «organisations terroristes étrangères et criminelles transnationales».
Cette proclamation interdit aux entités visées d’acheter des terrains et autorise des poursuites visant à leur fermeture, selon les communiqués officiels du gouverneur. CAIR, qui possède une trentaine d’antennes aux États-Unis, dont trois au Texas, a dénoncé une décision «diffamatoire, sans fondement factuel ou juridique».
Le gouverneur Abbott soutient ouvertement Israël et a déjà promulgué des mesures interdisant la création de complexes soumis à la charia au Texas. Il avait auparavant désigné le gang vénézuélien Tren de Aragua comme «organisation terroriste étrangère» en septembre 2024, quelques mois avant la désignation fédérale de Donald Trump pour ce même gang.
Un mouvement transnational aux multiples facettes
La confrérie des Frères musulmans s’est progressivement transformée en réseau idéologique mondial. Ses ramifications incluent des partis politiques légaux dans certains pays, des organisations caritatives et religieuses, actives dans l’éducation et le social, ou encore des réseaux clandestins réprimés dans plusieurs pays arabes, accusés de soutenir des groupes violents ou terroristes.
Plusieurs États de la région, dont l’Égypte, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et Bahreïn, ont déjà classé la confrérie comme organisation terroriste, justifiant des campagnes de répression et des gels d’avoirs. La Jordanie leur a emboîté le pas en avril 2025, après un vaste coup de filet contre la confrérie.
À l’inverse, certains pays, comme le Qatar et la Turquie, entretiennent des liens avec certains courants liés à la confrérie, notamment par le soutien politique ou humanitaire à des mouvements affiliés, dont le Hamas. Une désignation américaine pourrait compliquer certaines activités diplomatiques ou de financement dans ces réseaux et créer des tensions ponctuelles sur des dossiers régionaux.
Cependant, le Qatar reste un allié stratégique des États-Unis, abritant la base américaine d’Al-Udeid et jouant un rôle central dans les opérations militaires et la médiation régionale. La Turquie, membre de l’Otan, constitue également un partenaire militaire et diplomatique clé pour Washington. Ces relations obligent les États-Unis à concilier fermeté contre la confrérie et maintien de leurs alliances stratégiques, malgré les divergences sur certains courants islamistes.
Réactions israéliennes et implications régionales
Israël a déjà interdit certaines branches affiliées au mouvement. Le Premier ministre Benjamin Netanyahou a immédiatement salué l’intention américaine, déclarant dans la foulée que «cette organisation met en danger la stabilité au Moyen-Orient et au-delà».
Le think tank américain Institute for the Study of Global Antisemitism and Policy (ISGAP) a également approuvé cette démarche, jugeant que «la menace posée par l’idéologie des Frères musulmans est désormais prise au sérieux» et que la désignation serait «une étape importante pour confronter la confrérie aux États-Unis».
Cette convergence États-Unis/Israël pourrait renforcer la pression sur des pays perçus comme soutenant indirectement la confrérie, comme le Qatar ou la Turquie, et influencer les équilibres régionaux dans les dossiers palestiniens, libyens ou jordaniens.
Obstacles juridiques et mise en œuvre
Le processus de désignation est juridiquement complexe. Il exige de distinguer les entités centrales des branches locales et de documenter les activités terroristes spécifiques de chacune. Marco Rubio a insisté sur la nécessité d’un examen individuel pour chaque branche.
Par ailleurs, les organisations visées aux États-Unis pourraient contester cette décision devant les tribunaux, invoquant la violation des droits constitutionnels à la liberté d’expression et d’association. C’est notamment le cas pour CAIR qui a choisi de poursuivre l’État texan pour ce motif.
Bilan et perspectives
Si la désignation fédérale des Frères musulmans se concrétise, elle marquera un tournant dans la politique américaine vis-à-vis des mouvements islamistes transnationaux. Elle entraînerait des sanctions financières et pénales, des restrictions migratoires et des effets diplomatiques dans plusieurs régions sensibles, tout en légitimant la position des États arabes et d’Israël qui considèrent le mouvement comme une menace.
Toutefois, la mise en œuvre devra être très précise pour éviter de viser des structures civiles légales ou de provoquer des effets contreproductifs, comme l’entrave à l’aide humanitaire ou la radicalisation par sentiment d’exclusion. La Maison Blanche n’a pas précisé de date pour la publication officielle de la désignation, se contentant d’indiquer que la procédure est en cours.




Commentaires