L'Iran étouffe, et le pouvoir le dit enfin
Des femmes passent devant des vendeurs ambulants sur la place Enghelab (Révolution), au coeur de Téhéran, le 11 novembre 2025. ©Atta Kenare / AFP

On parle souvent de l’Iran par le prisme des conflits extérieurs, mais le pays vit aujourd’hui une crise intérieure beaucoup plus immédiate. L’inflation ronge les revenus, la sécheresse atteint un niveau inédit et les autorités commencent à reconnaître que la menace peut venir du cœur même du pays. Le président Masoud Pezeshkian a brisé un tabou en admettant la responsabilité du pouvoir, au moment où les indicateurs virent au rouge pour des millions de familles. 

L’Iran traverse une période que ses dirigeants ne parviennent plus à minimiser. Lors de son passage devant les députés, le président Masoud Pezeshkian a choisi d’affronter le sujet qui abîme le quotidien de tous les Iraniens. Il a parlé d’inflation sans chercher de responsables extérieurs. Il a aussi reconnu ce que chacun vit déjà dans sa cuisine, son robinet et son portefeuille. Les prix augmentent sans répit, le taux annuel frôle les 49% et celui de l’alimentation dépasse les 60%, ce qui fait basculer chaque semaine de nouveaux foyers dans l’angoisse. Pezeshkian a évoqué un État «trop lourd» et un budget qu’il faut «assainir», avec cette phrase qui a circulé dans tout le pays: «Nous ne pouvons pas gouverner lorsque le peuple a faim.»

Ce discours arrive alors qu’une autre crise s’abat sur le pays. La sécheresse s’installe durablement et frappe toutes les régions. Les mois d’octobre et novembre n’ont apporté aucune pluie dans pas moins de 15 provinces, selon les agences locales, et les prévisions ne laissent espérer aucune amélioration. Les autorités parlent d’un phénomène «quasiment inédit depuis un siècle». À Téhéran, les robinets se ferment chaque nuit et les responsables préviennent que les coupures pourraient s’étendre. Le gouvernement a déjà instauré des jours fériés en plein été pour réduire la consommation d’eau et d’électricité, tant la vague de chaleur a dépassé les 40 °C.

Le barrage Amir Kabir, l’une des cinq grandes réserves qui alimentent la capitale, symbolise la crise. Il ne contient plus que 14 millions de mètres cubes d’eau, à peine 8% de sa capacité, contre 86 millions à la même période l’an dernier. À ce rythme, il ne pourra plus alimenter Téhéran que pour quelques jours. Le responsable de la compagnie des eaux de la ville a évoqué «moins de deux semaines d’approvisionnement». Pour une métropole de plus de dix millions d’habitants, l’avertissement est inédit. 

Plus au nord-est, la ville de Mashhad, à environ 900 kilomètres de Téhéran, se prépare aussi à des restrictions nocturnes. Les autorités locales disent manquer de marges de manœuvre. Les nappes phréatiques sont surexploitées, les barrages atteignent des niveaux exceptionnellement bas et les images diffusées par la télévision d’État montrent des réservoirs à sec à Ispahan ou Tabriz. 

Des centaines d’hommes et de femmes se sont réunis, ce vendredi 14 novembre, dans une mosquée au nord de la capitale. Objectif: prier pour la pluie. La prière collective est pratiquée aussi bien par les musulmans sunnites que par les chiites lors des épisodes de sécheresse. 

Cette crise environnementale s’ajoute à un autre drame plus silencieux: la faim. Dans de nombreux foyers, la viande a disparu depuis longtemps, puis le poulet, puis les œufs. Les témoignages qui circulent sur les réseaux sociaux parlent de familles qui n’ont plus que du pain sur la table. Certains disent avoir retiré successivement la viande, les fruits, les légumes puis même le riz iranien, devenu inaccessible. Des salariés de la fonction publique expliquent consacrer la moitié de leur salaire au loyer et ne plus pouvoir assurer une alimentation complète. Une grande partie de ce qui était autrefois la classe moyenne glisse vers la pauvreté. 

Selon des chiffres relayés par la presse officielle, plus d’un tiers des décès seraient désormais liés à la malnutrition ou aux carences. Des millions d’Iraniens renonceraient aux consultations médicales, faute de moyens. Des adolescents seraient même en train de quitter l’école pour aider leurs parents à payer les charges. Pour les économistes, sept millions de personnes sont déjà frappées par la faim, et si la tendance se poursuit, près de 40% de la population pourraient basculer dans la précarité. 

C’est dans ce climat que Mohsen Araki, religieux influent et membre de l’Assemblée des experts, est intervenu la semaine dernière. Il a affirmé que la baisse des pluies est un avertissement spirituel. Il a parlé d’un «rappel divin», attribué selon lui aux «dérives» de la société. Dans son discours, il a directement lié la crise hydrique à l’abandon du hijab (voile), qu’il décrit comme une rupture collective avec les fondements moraux du pays. Comme si la nature sanctionnait un relâchement moral au sein de la société. 

Masoud Pezeshkian, lui, a recentré l’alerte sur la stabilité de l’État. Il a déclaré que la sécurité d’Ali Khamenei restait «la base de la sécurité nationale» et a prévenu qu’un affaiblissement du Guide suprême pourrait provoquer des «secousses internes» mettant en danger les institutions. Un message qui confirme l’inquiétude du pouvoir face aux tensions sociales, économiques et environnementales qui s’accumulent simultanément. 

Pour de nombreux observateurs, ces prises de parole marquent un tournant. Ce n’est plus la rhétorique extérieure qui domine, mais une reconnaissance, même partielle, des fragilités internes. L’Iran comptait déjà avec l’inflation, la sécheresse, les coupures d’eau, la baisse des récoltes et l’effondrement du panier alimentaire. Le pays doit désormais composer avec un aveu rare: la menace ne vient pas seulement de l’extérieur, mais aussi de l’intérieur, dans ce quotidien où s’entremêlent pénuries, inquiétudes et colère. 

 

 

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