«La crise horrifiante au Soudan est en train de devenir incontrôlable», a alerté le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, lors du deuxième Sommet mondial pour le développement social, tenu à Doha le 4 novembre. Il a appelé les belligérants à «venir à la table des négociations» pour mettre fin à ce qu’il qualifie de «cauchemar de la violence».
Cette déclaration fait suite à la chute d’El-Fasher, dernier bastion de l’armée soudanaise au Darfour, tombé le 26 octobre 2025 aux mains des Forces de soutien rapide (FSR) après dix-huit mois de siège. Depuis, des témoignages font état d’exécutions, de pillages et de viols, confirmés par des images satellites. «El-Fasher et les zones environnantes du Nord-Darfour ont été un épicentre de souffrance, de faim, de violence et de déplacements», a souligné M. Guterres.
Depuis près de deux ans, les affrontements entre les Forces armées soudanaises (FAS) et les Forces de soutien rapide ont plongé le pays dans une guerre dévastatrice. Selon l’ONU, plus de treize millions de personnes ont été déplacées, des centaines de milliers ont perdu la vie, et de graves violations des droits humains sont constatées. «Les gens meurent de malnutrition, de maladie et de violence», a déploré le chef de l’ONU.
Ce conflit trouve ses racines dans de profondes causes politiques, militaires et historiques qui façonnent le destin du Soudan depuis son indépendance.
Héritage d’une fracture nationale
Depuis son indépendance en 1956, le Soudan est marqué par une forte centralisation du pouvoir à Khartoum, qui a marginalisé des régions comme le Sud et le Darfour. Le gouvernement a souvent exploité les divisions tribales pour asseoir son autorité, fragilisant la cohésion nationale.
Dans le Sud, malgré un mécontentement général parmi les principales tribus — les Dinka et les Nuer — face à leur exclusion politique et économique, le régime central a exploité les rivalités historiques. Cette politique de division a conduit à une première guerre civile (1955-1972), durant laquelle les affrontements entre tribus sudistes ont masqué la véritable nature du conflit: une opposition structurelle entre le Nord arabo-musulman et le Sud, africain et chrétien.
L’accord d’Addis-Abeba de 1972 a temporairement mis fin à la guerre, accordant au Soudan du Sud une autonomie régionale. Mais le non-respect progressif de cet accord par le gouvernement de Khartoum, notamment à travers la recentralisation des ressources pétrolières et le retrait des pouvoirs locaux, a ravivé les tensions.
Une seconde guerre civile éclate en 1983 et se termine en 2005 avec un accord de paix global, qui prévoit l’autonomie du Sud et un référendum d’autodétermination. Le 9 juillet 2011, le Soudan du Sud devient indépendant. Cette sécession met fin aux guerres civiles, mais prive Khartoum de ses principales recettes pétrolières, accentuant les divisions internes.
La chute d’Omar el-Béchir et l’instabilité politique
À partir de 2018, une crise économique sans précédent provoque inflation, pénuries alimentaires et effondrement de la monnaie nationale. Les manifestations populaires, initialement économiques, se transforment rapidement en mouvement politique réclamant la chute du régime.
En avril 2019, Omar el-Béchir est renversé par ses généraux : Abdel Fattah al-Burhan, chef de l’armée régulière, et Mohamed Hamdan Dagalo, dit Hemedti, commandant des FSR. Une transition fragile s’installe avec un Conseil de souveraineté civil-militaire. Mais les rivalités internes minent rapidement le processus démocratique.
En octobre 2021, l’armée dirigée par Al-Burhan et Hemedti renverse le gouvernement civil et suspend la Constitution. Les manifestations sont réprimées, plus de mille personnes sont arrêtées, selon l’ONU, et la confiance entre la population et l’armée est brisée.
Rivalité entre FSR et armée régulière
L’alliance entre Al-Burhan et Hemedti, qui avait permis la chute de Béchir, se transforme rapidement en rivalité ouverte. D’un côté, les Forces armées soudanaises, dirigées par le général Abdel Fattah al-Burhan, incarnent l’État central et la souveraineté nationale. De l’autre, les Forces de soutien rapide (FSR), sous le commandement d’Hemedti, et issues des milices Janjawid du Darfour, disposent d’une armée parallèle richement financée par l’exploitation de l’or et la participation à des conflits régionaux.
En 2023, un accord prévoit l’intégration des FSR dans l’armée nationale. Mais le calendrier divise: Al-Burhan exige une intégration rapide, tandis qu’Hemedti réclame dix ans pour préserver son autonomie. Ce désaccord déclenche des hostilités directes dès le 15 avril 2023.
Une guerre aux conséquences humanitaires dramatiques
La guerre au Soudan reflète un cycle long de crises politiques, militaires et identitaires. Elle met en lumière l’incapacité des élites à construire un État de droit basé sur la justice et la représentativité. Pendant ce temps, des millions de Soudanais continuent de souffrir de violence, de faim et de déplacements forcés.



Commentaires