Loi César suspendue: le Liban peut-il saisir la relance syrienne?
©Ici Beyrouth

Pour la première fois depuis 2019, Washington a décidé lundi d’assouplir, pour une période de 180 jours, le régime de sanctions imposé à Damas, codifié dans la fameuse loi César, permettant certaines transactions jugées «humanitaires» ou «civiles».

Cette mesure, qui demeure provisoire, constitue néanmoins un signal politique fort : les États-Unis semblent tester la capacité des pays voisins à reprendre contact avec le marché syrien sans pour autant rompre l’isolement du régime. 

Le Liban, lié à la Syrie par son économie, sa géographie et ses réseaux familiaux, observe cette évolution avec un mélange d’intérêt et de prudence.

Les Libanais encore frileux

Pour le politologue Ali Hamadé, cette suspension n’ouvre qu’une parenthèse limitée.

«C’est une suspension provisoire. À mon avis, il n’y aura pas d’investissement libanais avant la levée totale de toutes les sanctions», estime-t-il.

Selon lui, la fragilité économique du Liban constitue le principal frein.

«Nos sociétés ne sont pas assez solides pour prendre ce risque, surtout avec la crise qui court ici au Liban. Seules les grandes entreprises arabes (émiraties, saoudiennes, peut-être qataries) peuvent se permettre d’investir en Syrie».

Il souligne également la paralysie du secteur financier, incapable de soutenir une expansion à l’étranger :

«Le secteur bancaire a trébuché et n’arrive pas à se remettre. L’économie du cash n’est pas une économie fiable pour des investissements sérieux».

Pour Ali Hamadé, la suspension de la loi César reste donc un signal politique, mais sans effet concret pour les entrepreneurs libanais, trop affaiblis pour s’engager dans un pays encore sous sanctions.

Une fenêtre d’opportunité, selon Fouad Zmokhol

À l’inverse, Fouad Zmokhol, doyen de la faculté de gestion et de management de l’université Saint-Joseph de Beyrouth, y voit une fenêtre d’opportunité, certes étroite, mais à exploiter.

«On ne va pas appeler ça une grande porte ouverte de tous côtés, c’est une fenêtre d’opportunité», explique-t-il. «Il faut que cela se traduise par un plan clair, une stratégie à court, moyen et long terme, et surtout un cadre de financement qui protège les investisseurs».

Pour lui, cette suspension suscite déjà un appétit réel chez certains entrepreneurs libanais et arabes :

«Il y a un grand appétit, mais rien de très concret encore. Ce n’est que le début. On espère que cela se transforme en un plan et une implémentation rapide».

Les secteurs clés : construction, énergie, logistique, tourisme

Fouad Zmokhol identifie plusieurs secteurs susceptibles d’attirer les capitaux :

«La construction d’abord, parce qu’il y a tout à reconstruire, dans le public comme dans le privé. L’énergie ensuite (électricité, solaire, nouvelles sources d’énergie) car les infrastructures syriennes étaient très anciennes».

Il cite aussi la logistique, interne et transfrontalière, rendue essentielle après des années de guerre et la destruction d’infrastructures vitales :

«Les ponts étaient coupés, les routes endommagées, il faut rétablir les connexions terrestres, maritimes et aériennes».

S’ajoutent les secteurs du commerce, de l’industrie et du tourisme.

«Le secteur de l’hôtellerie attire déjà les investisseurs : les prix des hôtels à Damas sont exorbitants parce qu’il y a beaucoup de demande et peu d’offre. Les grandes chaînes pourraient revenir».

Selon lui, un vent d’optimisme souffle sur la région, mais «il faudra attendre que les fonds commencent réellement à affluer» pour juger de la solidité de ce redémarrage.

Le Liban peut-il en profiter ?

Fouad Zmokhol estime que le Liban est bien placé pour tirer profit de la reconstruction syrienne, à condition de savoir s’y insérer.

«Le Liban peut profiter de cette reconstruction, car il est bien positionné dans les secteurs prioritaires : construction, industrie, commerce, tourisme et énergie. Les PME libanaises ont attendu ce moment depuis quinze ans. Mais la concurrence sera rude : la Jordanie et la Turquie sont également prêtes à jouer un rôle majeur».

De plus, il reconnaît que les signaux syriens envers les entreprises libanaises restent timides :

«Jusqu’aujourd’hui, on n’a pas vu une grande ouverture pour les entrepreneurs libanais. Il y a peut-être même une forme de fermeture, ou du moins un manque d’attrait».

Pour surmonter cet obstacle, il appelle à la reconstitution de partenariats syro-libanais :

«Les entreprises libanaises auront besoin de partenaires locaux ou devront créer des joint ventures avec des sociétés internationales cherchant des partenaires libanais. Il faudra reconstruire des relations bilatérales indépendantes, avec respect, et rouvrir de vrais canaux d'échange légaux, non à travers le commerce au noir ou la contrebande».

Même certaines banques libanaises, malgré leurs difficultés, «sont prêtes à participer partiellement au financement ou au transit des fonds», ajoute-t-il, à condition qu’un cadre politique et légal clair soit rétabli.

Entre prudence et optimisme

Les points de vue d'Ali Hamadé et Fouad Zmokhol illustrent deux réalités complémentaires : d’un côté, un pays économiquement exsangue, peu capable d’assumer un risque extérieur. De l’autre, un tissu entrepreneurial qui rêve d’un second souffle, porté par la reconstruction d’un voisin en mutation.

Mais les deux observateurs s’accordent sur un point : les prochains mois seront décisifs. Si la suspension de la loi César se transforme en levée durable des sanctions et s’accompagne d’un cadre de financement clair, elle pourrait rouvrir la route d’un rapprochement économique syro-libanais. Faute de quoi, le Liban restera, comme souvent, spectateur d’une relance régionale dont il devrait être un acteur naturel.

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