À Paris, les gestes se multiplient vers Alger, mais aucune réponse officielle n’est venue. Les deux capitales restent-elles sur leurs gardes?
Depuis quelques semaines, la France semble vouloir rouvrir une porte restée longtemps entrouverte. Le nouveau ministre de l’Intérieur, Laurent Nuñez, a indiqué début novembre avoir reçu une invitation de son homologue algérien, un geste encore non confirmé. À Paris, on y voit une marque de bonne volonté, même discrète. Le chef de la diplomatie, Jean-Noël Barrot, parle lui d’«apaisement» et de «coopération». Des mots choisis pour tourner la page des tensions accumulées ces derniers mois.
Boualem Sansal, l’affaire qui pèse sur la relation
Le 27 juin 2025, l’écrivain Boualem Sansal, 76 ans, a été condamné en appel à cinq ans de réclusion et 500.000 dinars d’amende, soit l’équivalent d’environ 3400 euros. La justice algérienne l’accuse d’«atteinte à l’unité nationale», «outrage à corps constitué», «pratiques de nature à nuire à l’économie nationale» et «détention de vidéos et de publications menaçant la sécurité et la stabilité du pays». Parmi les faits retenus, une déclaration où il affirmait que les frontières héritées de la colonisation française auraient dû être celles du Maroc. Des propos perçus comme une remise en cause directe de la souveraineté algérienne.
Le 10 novembre 2025, le président allemand Frank-Walter Steinmeier a adressé à Abdelmadjid Tebboune une demande officielle pour accorder la grâce à Boualem Sansal, invoquant des raisons humanitaires. L’information a été diffusée, fait rare, par la télévision publique algérienne, puis confirmée par un communiqué de la présidence.
Selon ce texte, «le président Abdelmadjid Tebboune a reçu une demande du président de la République fédérale d’Allemagne visant à effectuer un geste humanitaire consistant à accorder la grâce à l’écrivain Boualem Sansal, emprisonné depuis un an en Algérie». Le président allemand y souligne «l’âge avancé de Boualem Sansal et la dégradation de son état de santé», et propose de l’autoriser à se rendre en Allemagne pour y recevoir des soins. Dans son message, Frank-Walter Steinmeier ajoute que «ce geste serait l’expression d’un esprit humanitaire et d’une vision politique éclairée, tout en reflétant la solidité de sa relation personnelle avec le président Tebboune et l’excellence des relations entre les deux pays.»
À Alger, la presse d’État rappelle que Boualem Sansal a travaillé au ministère algérien de l’Industrie sous Abdelaziz Bouteflika, avant sa naturalisation française. Un détail absent du récit français.
Des dossiers qui entretiennent la méfiance
Le journaliste français Christophe Gleizes, 36 ans, détenu à Alger, doit être rejugé en appel le 3 décembre. Condamné pour «apologie du terrorisme» et «possession de publications à but de propagande nuisant à l'intérêt national», il reste dans l’attente d’une décision qui dira si la justice algérienne veut apaiser le climat ou maintenir la fermeté. Chrisophe Gleizes a été arrêté en mai 2024 alors qu’il réalisait un reportage sur la Jeunesse sportive de Kabylie (JSK), un club de football algérien. Les autorités algériennes lui reprochent d’avoir mené des entretiens avec un responsable du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), classé en 2021 comme organisation terroriste.
En France, un agent consulaire algérien est toujours détenu à Créteil. Il est soupçonné d’avoir participé à une tentative d’enlèvement d’Amir Boukhors, alias Amir DZ, un influenceur très critique du pouvoir algérien. La justice française le poursuit pour complicité, tandis qu’Alger conteste toute implication diplomatique et dénonce une atteinte à son immunité. Pour les autorités algériennes, Amir DZ n’est pas un simple opposant: il est classé comme terroriste, accusé d’atteinte à la sûreté de l’État et d’incitation contre l’armée.
Autre point de friction persistant: le dossier des OQTF, ces obligations de quitter le territoire français que Paris reproche à Alger de ne pas exécuter. Sous le gouvernement précédent, la France avait durci le ton, notamment à travers les déclarations de Gérald Darmanin puis de Bruno Retailleau, en accusant l’Algérie de refuser de délivrer les laissez-passer consulaires nécessaires au retour de ses ressortissants en situation irrégulière. Cette tension avait provoqué une réduction temporaire des visas et un climat de méfiance durable entre les deux capitales.
Des gestes prudents, mais toujours pas de reprise
Jusqu’ici, aucun message officiel n’a été adressé par Alger. Les initiatives viennent de Paris, où la nouvelle équipe ministérielle cherche à éviter les tensions du passé. La relation reste suspendue à des signaux, parfois ambigus, mais toujours observés de près. Rien ne dit que le dialogue reprendra bientôt, mais selon plusieurs spécialistes, les deux capitales savent qu’il ne peut rester gelé indéfiniment.



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