Le visage souriant, en uniforme militaire, debout dans un champ labouré par les chenilles de véhicules lourds, de la fumée en arrière-plan. C’est le dernier post sur TikTok du jeune Irakien Mohammed Imad, apparemment en Ukraine.

«Priez pour moi», dit la légende à côté d’un drapeau russe.

C’était en mai. Depuis, les mois ont passé sans un mot, juste des rumeurs: il a été pris en otage, blessé, il est tombé malade ou a été tué dans la frappe d’un drone ukrainien.

Comme beaucoup de ces jeunes Irakiens combattant en Ukraine, Mohammed, 24 ans, est parti en Russie et s’est enrôlé dans les forces armées russes sans le dire à sa famille.

Comme eux, il a été attiré par les promesses d’amasser de l’argent et de gagner un passeport russe. «Il n’est jamais revenu», raconte à l’AFP sa mère Zeinab Jabbar, 54 ans, dans sa modeste maison de Musayab, au sud de Bagdad.

«Nous, les Irakiens, avons traversé tant de guerres (…) On a eu notre lot», dit-elle en pleurs. «Qu’avons-nous à voir avec la Russie» et l’Ukraine? «Deux pays qui se battent, qu’est-ce que l’on a à voir avec eux?»

Mohammed était bébé en 2003 lors de l’invasion de l’Irak par une coalition menée par les États-Unis, qui a déclenché des décennies de violences sectaires suivies par le brutal «califat» jihadiste.

Beaucoup de jeunes gens ont dû rejoindre l’armée ou des milices chiites pour combattre le groupe État islamique, s’impliquer dans la longue guerre civile en Syrie voisine.

Aujourd’hui, dans un pays miné par la corruption et la gabegie où un tiers de la population active est au chômage, un certain nombre a cédé aux sirènes d’influenceurs les poussant sur les réseaux à aller se battre en Ukraine aux côtés des forces russes en échange de conditions jugées irrésistibles.

S’ils en font le choix, ils sont assurés, leur promet-on, d’une prime pouvant atteindre jusqu’à 20.000 dollars et d’un salaire mensuel de 2.800 dollars — quatre fois la solde d’un militaire en Irak. Un passeport russe et une pension font partie du package, ainsi qu’une assurance et une indemnisation en cas de blessure.

Recruteurs sur TikTok 

Lors d’une enquête de plusieurs semaines, l’AFP a pu parler aux proches de plusieurs jeunes Irakiens de milieu modeste partis rejoindre l’armée russe — trois sont officiellement portés disparus, un autre est revenu dans un sac mortuaire.

Un recruteur irakien, combattant dans l’armée russe, a également accepté de témoigner. «Donnez-moi un soldat irakien et une arme russe, et nous libérerons le monde du colonialisme occidental», dit ce dernier dans un de ses posts.

D’autres partagent des vidéos où l’on peut voir le président russe Vladimir Poutine qualifier ces combattants étrangers de «héros».

Les réseaux sociaux TikTok et Telegram regorgent de personnes proposant d’aider les Irakiens à rejoindre les rangs russes en Ukraine.

Au début de cette guerre, déclenchée par l’invasion russe du territoire ukrainien en février 2022, alors que Moscou soutenait le régime de Bachar al-Assad, Vladimir Poutine avait dit vouloir recruter 16.000 combattants au Moyen-Orient. Quelque 2.000 soldats syriens auraient ainsi rejoint la Russie.

Désormais, des chaînes Telegram visent en Irak un autre public, plus jeune.

Des méthodes similaires ont été utilisées en Syrie, en Algérie et ailleurs dans la région et au-delà pour attirer des recrues d’Asie centrale, d’Inde, du Bangladesh, du Népal — jusqu’à Cuba même, selon plusieurs médias.

Tout est prévu: un de ces recruteurs a expliqué à l’AFP qu’il suffisait de fournir la copie d’un passeport, une adresse, un numéro de téléphone pour recevoir une invitation en Russie, nécessaire pour obtenir le visa, le coût du billet étant ensuite pris en charge.

Un autre affirme aider les Irakiens une fois sur place à transférer de l’argent chez eux.

Certains donnent même une série de termes militaires à apprendre en russe, comme: «les munitions sont épuisées», «mission accomplie», «nous avons des pertes», «attaque de drone suicide».

«Je veux mon fils» 

Mais sur TikTok ou Telegram, au milieu des questions de jeunes prêts à s’enrôler en Russie, se glissent celles de familles dont les fils ne reviennent pas.

Celle de Mohammed est persuadée que c’est la propagande en ligne qui l’a embrigadé début 2025.

Longtemps, ses proches ont cru qu’il était parti travailler dans la province de Bassora. Jusqu’à ce qu’ils comprennent.

Pendant des semaines, Mohammed a posté des vidéos sur TikTok depuis la Russie. Dans l’une d’elles, il se trouve dans la région d’Orel, près de la frontière ukrainienne et de Koursk, selon une géolocalisation de l’AFP.

Après son dernier post, le 12 mai, sa mère l’a appelé, supplié de rentrer. «Il m’a dit qu’il allait à la guerre (…) et m’a demandé de prier pour lui.» C’est la dernière fois qu’elle lui a parlé.

«Je veux mon fils. Je veux savoir s’il est mort ou vivant», se lamente-t-elle.

Sa sœur Faten passe des heures à traquer des indices sur son sort sur TikTok et Telegram.

Munaser, 27 ans, influenceur irakien pro-Russie devenu référence pour de jeunes volontaires, affirme avoir informé la famille: Mohammed aurait été tué près de Bakhmout, touché par un drone ukrainien.

«S’il est mort, nous voulons son corps», dit Faten, furieuse de n’avoir ni dépouille, ni confirmation officielle.

Comme Alawi, parti avec lui en avril, dont la famille n’a plus de nouvelles depuis mai.

«Il y a la mort ici» 

Munaser, lui, est vivant. Parti d’Irak dans l’espoir d’atteindre l’Europe, il s’est finalement engagé dans l’armée russe en 2024, attiré par l’argent. Aujourd’hui, il dit gagner «environ 2.500 dollars par mois» et recrute à son tour.

Mais il ne cache pas les dangers: «C’est une guerre de technologie avancée, une guerre de drones (…) c’est la mort ici.»

Il a pourtant signé pour un an de plus.

«Honte» 

Plusieurs centaines d’Irakiens se battraient pour la Russie, selon des sources irakiennes, bien plus selon des recruteurs. Ils «cherchent un emploi», note l’ambassadeur d’Ukraine à Bagdad.

Le recrutement est désormais poursuivi par la justice irakienne: en septembre, un homme a été condamné à perpétuité pour trafic d’êtres humains en lien avec ces départs.

Un tabou social très fort entoure ces engagements. Un jeune Irakien rentré sans vie en septembre a été enterré de nuit, sans proches, sa famille accusée d’«honte» malgré les 10.000 dollars reçus avec la dépouille.

«C’est déchirant. Un garçon est mort à l’étranger et a été enterré en secret», confie un parent.

Par Roba EL HUSSEINI, Karar JABBAR et Hayder INDHAR/AFP

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