Manipulation de notes à l’Université libanaise: l'enquête se poursuit
Scandale à l’Université libanaise: des copies d’examens falsifiées à la Faculté de droit. ©Al-Markazia

À l’Université libanaise et au sein même de sa Faculté de droit, un système parallèle de corruption, de clientélisme et de falsifications semble avoir prospéré depuis des années. La récente découverte, au début du mois d’octobre, d’une manipulation de notes au profit d’étudiants koweïtiens n’est pas un incident isolé: elle dévoilerait, au contraire, la face visible d’un réseau de passe-droits bien ancré dans l’une des plus grandes institutions publiques du pays.

Un scandale parti d’une simple vérification

Tout commence par un courriel administratif anodin, adressé à la Faculté de droit par la section culturelle de l’ambassade du Koweït à Beyrouth. Comme à chaque semestre, la mission souhaite confirmer les résultats d’un de ses étudiants.

Rien d’inhabituel, jusqu’à ce que le directeur d’un des départements de la faculté, découvre des incohérences flagrantes dans les copies d’examen: notes modifiées, feuilles remplacées, signatures falsifiées.

Une révision de plusieurs autres copies révèle un schéma récurrent: des notes initialement inférieures à la moyenne se transforment miraculeusement en résultats honorables, des enveloppes officielles sont ouvertes et remplacées et certaines feuilles d’examen semblent avoir été réécrites après coup.

L’affaire est aussitôt signalée au président de l’Université, Bassam Badran, qui ordonne la fermeture du local où se trouvent les copies et saisit une commission d’enquête interne. Toutefois, et avant même que la procédure universitaire ne suive son cours, les forces de la Sécurité de l’État débarquent dans les locaux avec un mandat judiciaire, récupérant les copies et interrogeant les responsables administratifs. L’institution entre alors en zone de turbulence.

Une purge administrative

En l’espace de 48 heures, une série de décisions tombe: suspension du directeur en question, remplacement du secrétaire de faculté et mise à l’écart de six employés et contractuels soupçonnés d’implication.

Les décisions prises visent, selon la présidence de l’université, à «garantir la neutralité et la transparence de l’enquête». Samer Abdallah est nommé pour assurer l’intérim à la direction du département, en attendant les conclusions du rapport final.

Le président Badran promet également une enquête «rigoureuse et transparente» et assure qu’aucun «responsable ne bénéficiera de protection politique».

Les investigations, menées en parallèle par l’université et la Sécurité de l’État, portent sur cinq épreuves d’examens appartenant à trois étudiants koweïtiens. Selon les informations obtenues par le quotidien An-Nahar, la falsification a été détectée avant qu’elle ne produise d’effet juridique: aucun des étudiants n’a encore bénéficié de ces notes modifiées.

Les enquêteurs cherchent désormais à déterminer le moment précis de la fraude: pendant la correction, lors de l’introduction des résultats dans le système informatique ou après archivage. Des experts en graphologie ont aussi été sollicités pour examiner les écritures suspectes et comparer les signatures d’enseignants.

Des précédents lourds

Ce n’est pas la première fois que l’Université libanaise se retrouve éclaboussée par des affaires de falsification.

En 2018, déjà, la presse révélait l’existence de fausses attestations de diplômes délivrées à des étudiants étrangers et de manipulations de dossiers à la Faculté de droit. À l’époque, la présidence de l’université, dirigée par Fouad Ayoub, avait démenti toute malversation, parlant de «rumeurs malveillantes». Le dossier avait finalement été enterré. Comme souvent.

Quelques années plus tôt, entre 2012 et 2020, plusieurs rapports internes faisaient état d’irrégularités similaires dans d’autres facultés: copies échangées, résultats modifiés, interventions politiques dans les recrutements. Chaque fois, les commissions d’enquête promettaient des sanctions. Chaque fois, le système se refermait sur lui-même. Et chaque fois, ces affaires avaient en commun les mêmes ingrédients: la mainmise politique sur les nominations administratives, l’absence de contrôle externe sur les copies et les notes et une culture d’impunité, où tout se règle à huis clos.

Pour revenir à l’incident récent à la Faculté de droit, il faut dire qu’ici comme dans d’autres facultés de la même institution, c’est le système du «double correcteur» qui est adopté: chaque copie est corrigée par deux professeurs différents, sans mention du nom de l’étudiant, les enveloppes restant scellées jusqu’à la publication des résultats.

Un mécanisme de sécurité qui s’avère vulnérable dès lors que des agents internes, liés à des réseaux politiques, disposent d’un accès privilégié aux archives et au système électronique.

Selon des sources universitaires, le trafic de notes ou de diplômes ne serait pas une pratique nouvelle. Certains employés auraient tiré profit de la présence d’étudiants étrangers, notamment koweïtiens et irakiens, en «ajustant» des notes contre rémunération, avec la complicité de responsables administratifs. «On a créé un marché parallèle du mérite, où tout s’achète: les places, les concours, les notes, parfois même les diplômes», confie-t-on de source proche du dossier, citée par les médias locaux.

Aujourd’hui, la présidence de l’université affirme que les résultats de l’enquête seront publiés sans délai et promet «une transparence totale», malgré un scepticisme global au sein de la communauté universitaire. Si beaucoup redoutent que l’affaire ne soit, comme tant d’autres, tue au nom de la stabilité institutionnelle, d’autres misent encore sur la réforme du système universitaire, une réforme qui va au-delà des équilibres partisans. À quand une véritable reddition de comptes?

 

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