Le cinéma français, star en Russie malgré le boycott d’Hollywood
Des spectateurs font la queue pour entrer dans une salle de cinéma à Moscou, à l'occasion d'une projection de la comédie dramatique «La Venue de l'avenir» du réalisateur français Cédric Klapisch, récemment présentée en avant-première lors de la 78ᵉ édition du Festival de Cannes, le 23 septembre 2025. ©Olesya KURPYAYEVA / AFP

Pont culturel entre deux nations aux liens anciens, le cinéma français connaît un engouement durable en Russie, malgré les tensions politiques et l’isolement international du pays. Privés de productions hollywoodiennes, de nombreux spectateurs russes trouvent dans les films venus de France une alternative élégante et sensible, reflet d’un dialogue artistique jamais totalement rompu entre Paris et Moscou. Des succès récents comme Dracula de Luc Besson, Le Comte de Monte-Cristo ou encore La Venue de l’avenir de Cédric Klapisch en témoignent.

«Une bulle colorée où l'on veut rester»: toujours en haut de l'affiche malgré le froid polaire entre Moscou et Paris à cause du conflit en Ukraine, les films français sont l'une des rares fenêtres sur l'Occident pour la Russie, boycottée par Hollywood.

Première en 2023 et deuxième l'an dernier en termes de places vendues, la Russie est incontournable sur le marché des films français à l'export, explique-t-on chez Unifrance, l'organisme chargé de promouvoir le cinéma français à l'international.

Pour preuve: entre les nouveautés telles que Dracula de Luc Besson, L'accident de piano de Quentin Dupieux ou encore le cultissime Plein soleil de René Clément avec Alain Delon, les cinéphiles moscovites ont l'embarras du choix.

Alexandra a bravé la pluie pour aller voir La Venue de l'avenir de Cédric Klapisch. «Les films français créent une bulle colorée dans laquelle je veux rester», dit-elle à l'AFP. Elle espère plonger dans un autre monde pour «mettre en pause (ses) réflexions sur le contexte» politique.

Les grands studios de Hollywood boycottent officiellement la Russie depuis 2022 mais certaines superproductions américaines sont toujours visibles de Moscou à Vladivostok, via le piratage.

Pour autant, Alexandra pense que ses compatriotes apprécient davantage le cinéma français «fin et réfléchi».

«Entremêlées depuis des siècles, nos deux cultures poursuivent ainsi leur dialogue» suspendu par les dirigeants, dit-elle, souhaitant que son nom de famille ne soit pas dévoilé.

Cinéma salutaire

La France et ses alliés européens ont pris de nombreuses sanctions contre la Russie en raison de son offensive à grande échelle chez son voisin ukrainien et plusieurs dizaines d'entreprises françaises ont quitté le marché russe depuis 2022.

Les films français, quant à eux, continuent d'être importés.

Le film d'animation Miraculous de Jérémy Zag est même devenu le plus gros succès pour un film français en Russie post-soviétique avec plus de trois millions d'entrées en 2023. L'année dernière, Le Comte de Monte-Cristo a attiré plus d'un million de Russes, tout comme Dracula cette année.

Pour Marina, une juriste de 33 ans, le cinéma français est «indispensable, même salutaire» en ce moment.

Les productions asiatiques et latino-américaines que les distributeurs russes destinent à pallier celles d'Hollywood «ont une énergie différente. Le cinéma français ou européen m'est plus proche par son ambiance et son élégance», avoue-t-elle.

Les Russes cultivent depuis des siècles des affinités électives qui les rapprochent des Français, de la littérature française, lue en version originale par l'élite russe «au XIXe siècle, au cinéma qui a pris la relève», explique à l'AFP Joël Chapron, le correspondant du Festival de Cannes pour la Russie qui évoque «une sorte de diplomatie culturelle».

Les films français sont pour les Russes «une ouverture sur la civilisation qu'ils ont toujours aimée (...) et une alternative à la propagande», résume-t-il.

Depuis 2020, la Russie occupe les premières places en nombre de spectateurs à l'étranger pour le cinéma français: première en 2020, deuxième en 2021, troisième en 2022, première de nouveau en 2023 et deuxième l'an dernier. En 2024, 73 films français sont sortis dans ce pays.

La télévision n'est pas en reste, puisque la première chaîne d'État continue de programmer des productions françaises. Comme l'explique son patron, Constantin Ernst, à l'AFP: «la subtilité, la profondeur et l'esthétique du cinéma français sont profondément ancrées dans l'âme russe».

«Soleil dans l'eau froide»

À l'époque de l'URSS déjà, les films français avaient déjà la cote. En 1952, Fanfan la Tulipe avec Gérard Philippe avait ainsi attiré 30 millions de personnes dans les salles soviétiques. Et Jean-Paul Belmondo, Alain Delon, Catherine Deneuve ou Pierre Richard restent des icônes.

Star déchue, Gérard Depardieu s'était même vu remettre un passeport russe en 2013 des mains de Vladimir Poutine, avant de critiquer l'offensive russe en Ukraine quelques années plus tard.

Avec le départ d'Hollywood, le cinéma français ne s'est pas retiré afin de «donner une ouverture sur autrui (...) et sur un mode de vie différent», explique un porte-parole d'Unifrance à l'AFP sous le couvert de l'anonymat. «Interdire les biens culturels signifierait se couper de la population russe».

Contrairement aux films américains où le «politiquement correct» occupe une place importante, les films français sont plus assimilables pour les Russes, estime Nadejda Motina, la présidente de la société Arna Media qui distribue une dizaine de films français par an en Russie.

«Une porte fermée ne sert jamais à rien. Il faut montrer aux Russes un autre monde avec ses valeurs et mettre un peu de soleil dans l'eau froide», résume-t-elle pour l'AFP.

Par Marina LAPENKOVA / AFP

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