
Dans une démarche inédite visant à relancer les enquêtes sur les assassinats politiques restés impunis, la justice libanaise a nommé onze juges d’instruction qui seraient chargés de reprendre ces dossiers sensibles, certains datant de la guerre civile.
Bon nombre d’affaires emblématiques, longtemps figées, ont donc été réparties entre différents magistrats et ce, dans le cadre de la campagne du ministère de la Justice, visant à lutter contre l’impunité.
Selon les informations rapportées par les médias locaux, les juges désignés et les dossiers dont ils auront la charge sont tels que la magistrate Amira Sabra devrait s’occuper de l’assassinat du cheikh Ahmad Assaf. Figure religieuse sunnite, le cheikh Assaf avait été tué, en 1982, dans des circonstances obscures. Son meurtre, jamais élucidé, s’inscrit dans le contexte de la double emprise exercée, à cette époque, par l'Organisation de libération de la Palestine et par la Syrie sur le Liban et à laquelle la victime s’opposait fermement.
Le juge Fadi Akiki, lui, s’est vu confier la mission d’élucider l’affaire de la tentative d’assassinat de Moustapha Maarouf Saad. Fils du chef de file de la gauche sunnite, Maarouf Saad, abattu en 1975 lors d’une manifestation à Saïda, Moustapha Saad échappe, lui-même, à une tentative d’assassinat en 1985, liée à ses positions politiques anti-israéliennes, étant à la tête de l'Organisation populaire nassérienne.
De son côté, le juge Yehya Ghaboura aura la charge du massacre à Ehden. Ce drame sanglant avait coûté, en 1978, la vie au député Tony Frangié, fils de l’ancien président Sleiman Frangié, à son épouse Vera et à leur fille, ainsi qu’à plusieurs de leurs compagnons. L’attaque constitue un épisode marquant de la guerre civile.
Par ailleurs, le juge Joseph Tamer se penchera sur l’enquête relative à la tentative d’assassinat de l’ancien président Camille Chamoun. Fondateur du Parti national libéral et figure emblématique du camp chrétien, Camille Chamoun avait été la cible d’une tentative d’assassinat en 1980, à une période de fortes tensions entre milices chrétiennes.
Pour sa part, le juge Alaa el-Khatib enquêtera sur les affrontements de Bourdaï, à Baalbeck. Ces incidents armés, survenus dans la région de la Békaa en 1998, opposaient des clans locaux et des groupes armés affiliés à des partis politiques, causant plusieurs morts et illustrant la fragilité sécuritaire persistante dans la région.
Le juge Fadi Sawan, lui, devra se prononcer sur l’assassinat de l’ancien ministre Elie Hobeika, ancien chef de milice, impliqué dans le massacre des camps palestiniens de Sabra et Chatila, en 1982. Elie Hobeika avait été tué, en 2002, dans un attentat à la voiture piégée à Hazmieh.
Pour instruire le dossier relatif à l’assassinat du député Antoine Ghanem et de ses compagnons, c’est le juge Samer Younès qui a été nommé. Député antisyrien, Antoine Ghanem avait été tué, en 2007, dans un attentat à la voiture piégée, dans une vague d’assassinats visant des figures anti-syriennes après 2005.
Le juge Kamal Nassar sera chargé de l’assassinat, à Baïsour, en 2008, du cheikh Saleh Aridi. Dirigeant druze et cofondateur du Parti démocratique libanais, il avait été tué dans un attentat à la bombe.
L’enquête sur l’assassinat, en 2006, du ministre Kataëb de l’Industrie antisyrien, Pierre Gemayel, sera du ressort du juge Sami Sader. Un meurtre qui avait profondément secoué le camp du 14 Mars, déjà frappé par une série d’attentats politiques.
Pour élucider l’affaire sur l’assassinat du journaliste Samir Kassir, c’est le juge Samer Lichaa qui mènera l’instruction. Samir Kassir était l’une des voix les plus critiques du régime syrien. Il avait été tué dans un attentat à la voiture piégée à Achrafieh, peu avant le retrait des troupes syriennes du Liban.
Enfin, le juge Claude Ghanem devra se pencher sur l’assassinat du député et journaliste Gebran Tuéni. Directeur du quotidien libanais An-Nahar, Gebran Tuéni avait été tué dans un attentat à la voiture piégée à Mkalles, dans la même série d’assassinats politiques qui ont suivi la mort de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri.
Une démarche symbolique et attendue
La relance de ces enquêtes, dont certaines remontent à plus de quarante ans, constitue une tentative de rétablir la confiance dans la justice libanaise. Si elle nourrit l’espoir de faire enfin éclater la vérité, elle pourrait aussi raviver de profondes blessures, tant ces dossiers restent étroitement liés à l’histoire des fractures politiques et confessionnelles du pays.
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