
Donald Trump agite à nouveau la possibilité d’invoquer l’Insurrection Act, une loi bicentenaire qui autorise un président américain à déployer l’armée sur le sol national. L’idée provoque des débats, mais le texte existe bel et bien, et il lui en donne le droit, sous certaines conditions.
Adoptée en 1807, à l’époque de Thomas Jefferson, l’Insurrection Act permet au président des États-Unis de mobiliser les forces armées pour rétablir l’ordre lorsqu’un État fédéré est dépassé ou que les lois fédérales ne peuvent plus être appliquées par les moyens habituels.
Mais ses fondations sont encore plus anciennes. Les premiers textes similaires datent de 1792, après les rébellions dans les jeunes États américains. La version de 1807 a simplement consolidé ces lois sous un cadre fédéral plus clair.
C’est une mesure d’exception, comparable à l’état d’urgence dans d’autres pays, destinée à répondre à des situations où les institutions locales sont impuissantes face à la violence, aux émeutes ou aux blocages institutionnels.
En principe, le droit américain interdit à l’armée d’intervenir dans la vie civile. C’est le sens du Posse Comitatus Act de 1878, une loi signée par le président Rutherford B. Hayes, qui sépare strictement la défense nationale du maintien de l’ordre intérieur, l’armée n’ayant pas le droit d’intervenir dans les affaires du gouvernement civil, dans celles de la justice ou dans une procédure judiciaire.
Mais l’Insurrection Act constitue une exception à ce principe: elle autorise l’exécutif à utiliser la force militaire pour «faire exécuter les lois» ou «réprimer une insurrection». Elle a été invoquée une trentaine de fois dans l’histoire américaine, notamment par Dwight Eisenhower en 1957 et John F. Kennedy dans les années 1960 afin de faire respecter les décisions de la Cour suprême sur la déségrégation scolaire malgré l’opposition de certains gouverneurs.
Un texte qui laisse une marge présidentielle
Le texte de loi, codifié dans le titre 10 du Code des États-Unis, laisse une part d’interprétation au président. Il lui revient d’estimer si des «obstructions illégales», des «rassemblements» ou une «rébellion» rendent impossible l’application des lois fédérales. En ce sens, la décision d’activer l’Insurrection Act dépend principalement de son jugement, même si les tribunaux peuvent ensuite en contrôler les effets.
Donald Trump l’a rappelé cette semaine: «Nous avons une Insurrection Act pour une raison», a-t-il déclaré depuis le Bureau ovale, en soulignant qu’il y recourrait si des vies étaient menacées et que des gouverneurs ou des juges empêchaient l’État fédéral d’agir. Le président évoque ce levier dans un contexte de tensions avec plusieurs États dirigés par des démocrates, notamment l’Oregon, où la ville de Portland reste le symbole de manifestations violentes contre les opérations migratoires de l’agence fédérale de l’Immigration et des Douanes (ICE), et l’Illinois, où Chicago a saisi la justice pour bloquer le déploiement de la Garde nationale. Des renforts ont également été envoyés ou envisagés à Los Angeles, Baltimore, New York, La Nouvelle-Orléans et Memphis, toutes qualifiées par la Maison-Blanche de «zones à haut risque» pour la sécurité des agents et des bâtiments fédéraux.
Dans les faits, rien n’interdit à Trump d’invoquer ce texte sans l’accord des gouverneurs concernés. Eisenhower et Kennedy l’ont fait en leur temps, face à des autorités locales récalcitrantes. Si les conditions fixées par la loi sont réunies (incapacité d’un État à faire respecter la loi, menace contre des citoyens ou des biens fédéraux), le président pourra ordonner l’engagement de forces militaires. Les États peuvent contester cette décision, mais la Constitution lui confère, dans ces circonstances, la responsabilité suprême du maintien de l’ordre fédéral.
Entre droit et perception
Pour ses partisans, Trump n’invente rien, du moment qu’il se réfère à un outil prévu par la loi pour rétablir la sécurité, quand les autorités locales refusent de coopérer. Pour ses détracteurs, le recours à l’armée sur le territoire national représente une menace pour la démocratie américaine. Dans la pratique, l’Insurrection Act reste un instrument légal, mais politiquement clivant. Son usage dépendra autant du contexte que du climat d’opinion.
Ce texte redonne au président américain un pouvoir que peu ont osé utiliser. Trump semble prêt à s’en saisir, convaincu que la sécurité nationale ne dépend plus seulement des gouverneurs. Dans le chaos des villes qu’il décrit comme «zones de guerre», il promet de garder la main. Et cette fois, il dispose d’une loi vieille de deux siècles pour le faire.
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