
En exil à Paris, Kirill Serebrennikov revisite Hamlet dans une création musicale multilingue et foisonnante, où se mêlent art, politique et mémoire. À travers une mise en scène fragmentée, le metteur en scène russe interroge les «fantômes» de notre époque.
Le metteur en scène et réalisateur russe en exil Kirill Serebrennikov déconstruit Hamlet de Shakespeare pour s'interroger sur les «fantômes» dont a hérité la société actuelle, dans une pièce de théâtre musical, patchwork et très libre, sur les planches parisiennes.
L'artiste, qui a répondu à une proposition du directeur du Théâtre du Châtelet à Paris Olivier Py, a gardé les monologues clés de l’œuvre originelle et s'est inspiré de sa richesse: «les rapports filiaux», «le crime», «la haine».
Mais il s'est surtout attaché aux «thèmes présents (restés) très importants dans notre société aujourd'hui», affirme-t-il à l'AFP.
Le spectacle, qui se joue jusqu'au 19 octobre, est ainsi construit en dix chapitres, comme par exemple «Hamlet et le père», «Hamlet et l'amour», «Hamlet et la violence» ou encore «Hamlet et le silence».
Particularité, le prince du Danemark est interprété par huit comédiens de casting international, qui jouent en anglais, français, allemand et russe, parmi lesquels les Français Judith Chemla et Bertrand de Roffignac, l'Américain Odin Lund Biron, l'artiste né en Géorgie Shalva Nikvashvili, ou encore l'Allemand August Diehl.
Un «théâtre multilingue» qu'affectionne le metteur en scène: «aujourd'hui, alors que les gens essaient de construire de nouveaux murs entre les pays, le théâtre devrait, au contraire, les détruire», dit-il.
La pièce offre une vision très fragmentée du personnage d’Hamlet, avec des clins d’œil parfois lointains: «Hamlet et la peur» est ainsi incarné par le personnage du compositeur russe Dmitri Chostakovitch, qui composa une suite d’orchestre pour la pièce de William Shakespeare; «Hamlet et la reine» évoque l’actrice Sarah Bernhardt, première femme ayant interprété le rôle en Europe. Le Spectre est lui incarné par une séquence de breakdance du Tchèque Kristián Mensa, en pull à capuche.
La scène et ses trois murs blancs, qui figurent un grand salon bourgeois vide, accueillent des univers tour à tour oniriques, colorés, striés de noir et blanc... Marque de fabrique de Serebrennikov, plusieurs scènes sont filmées et projetées en direct par un cameraman posté sur le plateau, leur donnant de l’écho ou un angle différent.
La partition commandée au compositeur contemporain Blaise Ubaldini, interprétée par l’Ensemble intercontemporain, vient s’entremêler avec douceur ou puissance aux tensions, énergies et délires de ce spectacle musical.
Lors de la répétition générale, on pouvait entendre parler russe dans le public. «Parfois, il me semble que le public du Gogol Center à Moscou (théâtre d’avant-garde que Serebrennikov a fondé et dirigé pendant huit ans, ndlr) nous a suivis ici. C’est pour eux que nous travaillons avec plaisir», dit-il.
Avec AFP
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