L'IA entre en religion, les croyants sont divisés
Cette illustration photographique montre l'application de chatbot « Text With Jesus » affichée sur un iPhone le 2 octobre 2025, à Washington, DC. L'intelligence artificielle, cette technologie qui bouleverse presque tous les aspects de la société, fait son entrée dans le domaine religieux, proposant un Jésus virtuel et des sermons automatisés, un changement qui suscite des réactions mitigées parmi les fidèles ©AFP

Imam IA, sermon généré automatiquement, androïd bouddhiste ou Jésus virtuel, l'intelligence artificielle s'invite de plus en plus dans l'espace religieux, suscitant des réactions contrastées chez les fidèles.

Marie, Joseph, Jésus, les apôtres quasiment au complet, ils sont tous là pour répondre aux questions écrites des utilisateurs de l'application «Text With Jesus», qui compte plusieurs milliers d'abonnés payants.

«Ça a une vocation éducative», décrit Stéphane Peter, patron de Catloaf Software, éditeur de l'application. «C'est un nouveau moyen d’approcher les sujets religieux de manière interactive.»

Si l'en-tête de la conversation mentionne qu'il s'agit bien d'une interface d'intelligence artificielle, Moïse ou Jésus ne le reconnaissent pas clairement lorsque la question leur est posée.

«C'est un équilibre délicat», reconnaît Stéphane Peter.

Il constate que la nouvelle version de ChatGPT, GPT-5, sur laquelle est bâtie «Text With Jesus», «suit beaucoup mieux les instructions» et peut donc chercher à coller au personnage, «niant (être un chatbot) avec plus de conviction».

«Il y a eu beaucoup de critiques de personnes qui trouvaient ça blasphématoire», raconte Stéphane Peter, «mais si vous regardez sur l’App Store, c’est plutôt bien noté (4,7 sur 5).»

Catholic Answers, média apostolique, a pu vérifier la sensibilité du sujet avec le lancement, au printemps 2024, de son propre avatar, «Père Justin» (Father Justin), un personnage IA animé.

«De nombreuses personnes se sont offusquées du fait que nous utilisions un personnage de prêtre», se remémore Christopher Costello, responsable technologique chez Catholic Answers.

Quelques jours plus tard, le groupe a privé de son titre cet assistant virtuel, désormais rebaptisé simplement Justin.

«Nous ne voulons pas remplacer les humains», assure Christopher Costello, «mais simplement aider.»

«Ça manquait de cœur» 

Des équivalents de ces applications existent déjà pour toutes les religions majeures, de Deen Buddy (islam) à AI Buddha (bouddhisme), en passant par Vedas AI (hindouisme), la plupart se présentant comme une interface avec les textes sacrés et non comme l'incarnation d'une divinité.

Nica, Philippine anglicane de 28 ans, utilise ChatGPT «presque tous les jours, principalement pour l'analyse des écritures», même si le pasteur de sa paroisse cherche à l'en dissuader.

«C'est une couche supplémentaire», dit-elle. «Je fais partie d'une communauté chrétienne et mon mari et moi avons des mentors spirituels. Mais parfois, quelque chose me traverse l'esprit sur la Bible et je veux une réponse immédiatement.»

Rares sont ceux qui reconnaissent ouvertement s'entretenir de religion avec un assistant IA, bien que certaines applications aient été téléchargées plusieurs millions de fois.

«Les gens qui croient ne devraient pas recourir à un chatbot» pour parler de leur foi, considère Emanuela, une Italienne croisée à la sortie de la cathédrale St. Patrick à New York. «C'est mieux d'échanger avec d'autres croyants.»

Le rabbin Gilah Langner, de la communauté Kol Ami, juge, en particulier, que la Halakah, la Loi juive, est source d'interprétation infinie et requiert que «quelqu'un vous connecte avec la tradition».

«Avec l'IA, il est possible que vous ayez quelque chose de très nuancé, mais il n'y aura pas de lien émotionnel», dit-elle. De manière générale, selon Gilah Langner, l'IA «a tendance à isoler les gens».

Quant à l'église chrétienne, elle ne rejette pas en bloc l'IA, loin de là.

Stéphane Peter dit avoir échangé avec des membres du clergé, dont certains «avaient la même opinion que moi sur le fait que ça pouvait permettre d'éduquer les gens».

En mars 2024, le pape François avait nommé le responsable de l'entité dédiée à l'IA Google DeepMind, Demis Hassabis, membre de l'organe du Vatican chargé des sciences.

Et, comme dans quasiment tous les espaces de la société, des ecclésiastiques expérimentent avec l'IA générative.

En novembre 2023, le pasteur Jay Cooper de la Violet Crown City Church à Austin (Texas) a ainsi confié le contenu d'une de ses messes à un assistant IA.

Le pasteur avait communiqué à l'avance sur son initiative pour éviter toute méprise.

«Certains ont mal réagi», dit-il. «Pour eux, nous étions devenus une église IA.» À l'inverse, cette messe 2.0 a attiré des curieux, peu habitués des offices religieux, des «gamers» notamment.

À l'épreuve, le logiciel a fait une «interprétation juste» de la Bible, selon lui. «Il n'y avait rien de bizarre.»

Même s'il a visiblement été intrigué et réfléchit à d'autres moyens d'intégrer l'IA, Jay Cooper n'a pas renouvelé l'expérience.

«Je suis content que nous l'ayons fait», assure-t-il, «mais cela manquait de cœur et d'âme par rapport à ce que nous faisons d'habitude.»

Par Thomas URBAIN avec Julie JAMMOT /AFP

Commentaires
  • Aucun commentaire