Camille Cottin interroge le clair-obscur de la conscience dans «Rembrandt»
Romain Duris et Camille Cottin dans «Rembrandt» de Pierre Schoeller. ©Trésor Films – France 3 Cinéma – Zinc – Les productions du trésor – Artemis Production

Dans son film Rembrandt, actuellement en salles en France, Pierre Schoeller signe un thriller intimiste où l'art bouleverse le monde, défie les temps, et entraîne le schisme. Camille Cottin incarne une physicienne cartésienne qui, face à trois toiles de Rembrandt, bascule dans l’humain et s’interroge sur l'avenir des nouvelles générations. Un face-à-face avec la conscience.

Pierre Schoeller s’affiche encore une fois dans un cinéma d'auteur engagé, joignant rigueur documentaire et fiction. Après L'Exercice de l'État et Un peuple et son roi, il développe dans ce film une pensée qu’il veut philosophique: filmer l'incertitude scientifique et collective du monde à l’heure du changement climatique. Il a recours aux clairs-obscurs, aux plans larges des paysages sublimes et sublimés, aux irruptions virtuelles pour traduire l'oscillation entre savoir technique et conscience retrouvée. Le long-métrage oscille entre crise de couple, questionnements scientifiques, et crise existentielle d’une femme scientifique, Claire, «illuminée» par les toiles de Rembrandt qui la ramènent à l’essentiel. En quête d’humanité, elle se perd dans un tourbillon sans queue ni tête, perd ses appuis et ses proches.

Rembrandt est un long-métrage qui se veut porteur de questions justes et justicières afin d’établir une problématique sur ce que nous laissons en héritage aux générations futures.

Rembrandt a toujours ébloui le réalisateur. Des années durant, ses œuvres l'escortent telle une présence discrète. En février 2019, à la National Gallery, une expérience fortuite, semblable à celle que vit Claire dans le film, le bouleverse. Devant les toiles du grand maître, il connaît le retour à l’essence des choses et des êtres. Il ressent au plus profond de sa chair une illumination presque projetée dans le film.

Les éléments déclencheurs? Trois portraits étaient réunis, côte à côte, dans la salle 22: Vieil homme assis dans un fauteuil (1652), Un homme âgé comme saint Paul, parfois considéré comme un autoportrait, ainsi que le Portrait of Hendrikje Stoffels, la seconde épouse du peintre. Trois paires d’yeux, trois regards alignés, et tout se joue. Dans une révélation quasiment mystique, le réalisateur perçoit une intensité, une vibration. Naît alors une étincelle qui le bouleverse et traverse le fil du temps pour donner naissance à un film. Comme si trois visages du XVIIe siècle se confiaient à lui, lui révélant les secrets de nos temps modernes. Rembrandt serait sans doute son film le plus autobiographique.

Romain Duris joue un mari rationaliste, perdu dans l’engrenage de l’amour, mêlé à l’incompréhension de la femme qui partage sa vie et qui semble, de jour en jour, s’éloigner de lui. Denis et Bruno Podalydès apportent des éclairages quelquefois acerbes dans un débat réaliste, loin de la caricature, aidant à la compréhension de la bascule du récit.

Camille Cottin, quant à elle, livre et se livre à une performance mesurée et convaincante. Différente des premiers rôles comiques qui l'ont révélée au grand public, elle compose son personnage avec une précision de mouvements et une intensité émotionnelle retenue. On a plaisir à la regarder évoluer dans son rôle, joignant les bouts du long-métrage et tenant le fil d’une femme au bord de l’hystérie, et pourtant dotée d’un calme intérieur inébranlable. Jonglant impeccablement entre l’anglais et le français, elle assimile une langue à la science, et l’autre au cri du cœur. Son éveil intérieur frôlant le mystique au pied des immenses toiles de Rembrandt rend hommage à son jeu d’actrice, dans le silence, le regard, et le souffle. Elle détient la clé de la tension morale du film.

«L’œuvre d’art naît du renoncement de l’intelligence à raisonner le concret», écrit Albert Camus. Ne serait-ce pas le fil directeur du film? Suivre Claire dans sa bascule, dans sa minuscule silhouette face à l’immensité des centrales nucléaires ou des paysages pittoresques, ouvre l’espace des révélations, au-delà du scientifique et de l’incompréhension humaine. La scientifique cartésienne, lasse des équations et de la rigueur atomique se rebelle tout à coup contre un système qui dresse l’ego démesuré des hommes en doctrine immuable. Sa voix discordante se prolonge en une fissure dans le gratte-ciel des hommes, et s’accroche à la force de l’intuition.

 

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