
Claudia Cardinale s’est éteinte à 87 ans. Sur les réseaux sociaux, des bouts de ses films sont diffusés en boucle, captivant sa magie du grand écran. Ses photos évoquent aujourd’hui une période révolue, celle des grands hommes, et reflètent une femme de soleil et de mer, une rebelle méditerranéenne qui s’est frayé un chemin loin des sentiers battus.
Au cœur de la petite ville portuaire de La Goulette, près de Tunis, le soleil flirte avec le sel de la mer et s’enivre au parfum du jasmin. C’est dans ce coin du monde que, fille de Siciliens, Claudia Cardinale fait son premier sourire à la vie, en 1938. Elle ne connaît pas un mot d’italien et grandit sur la côte, au son des vagues, bercée par les voix des pêcheurs, ensorcelée par le vacarme des marchés et caressée à la chaleur des journées. La jeune femme de Tunisie rêvait d’un avenir simple et pourtant riche de sens: enseigner. Enseigner pour transmettre, inculquer des valeurs. Mais le hasard n’existe pas. Imprévisible, tout comme le vent méditerranéen, il vient bouleverser sa destinée. Elle n’a que seize ans lorsqu’elle est élue «la plus belle Italienne de Tunisie», un concours qui lui offre l’occasion d’un voyage en Italie, le temps de la Mostra de Venise. Les passants l’arrêtent sur son passage pour lui demander un autographe, les producteurs s’intéressent à cette fille sauvage et libre comme l’air. Sous la lumière des projecteurs, les longs cils de Claudia Cardinale ne clignent pas. La Méditerranéenne farouche ne flanche pas. Et pourtant, encouragée par ses proches, elle tente sa chance. En 1958, elle fait ses premiers pas à l’écran dans Le Pigeon de Mario Monicelli. Les portes du cinéma s’ouvrent grand alors à elle. Cette invitation irrésistible du septième art a raison de ses réflexions. Elle se rend à Rome.
À fleur de peau, à bout de nerfs, mais aussi emportée par la joie de vivre que l’indécence des larmes, son jeu intense cache une blessure vive: son enfant. Victime d’un viol lorsqu’elle est adolescente, elle décide, avec l’instinct maternel et la bravoure d’une femme authentique, de garder l’enfant, Patrick. Elle le présente au monde comme son petit frère et ne révèlera la vérité que sept ans plus tard. Elle aura vécu selon ses propres règles, dans une société prônant la loi du silence. Féministe avant l’émancipation même du féminisme, Claudia Cardinale incarne la féminité au-delà de ses dentelles, jupons et fards à paupières.
Boule d’émotions et icône de beauté, dans les années 1960, elle s’invite à l’écran, sans scrupules, sans tabous ni interdits. Ses rôles sont empreints de sensualité. On la croirait faite de terre, de mer et de feu. Femme libre et libérée, elle accumule les succès: en 1963, elle tourne en parallèle deux films qui entrent dans l’histoire du cinéma: Le Guépard de Luchino Visconti et Huit et demi de Federico Fellini. Angelica, dans Le Guépard, est une femme de sang et de désir, emblème d’un univers en mutation. Dans Huit et demi, l’actrice joue la femme de rêve, insaisissable, au parfum de mystère. Visconti la voulait brune aux cheveux longs. Fellini la voulait blonde. Fellini lui ouvre la voie de la confiance. Il lui accorde la voix. En effet, Claudia Cardinale avait la voix grave et rauque, et était souvent doublée par d’autres actrices. Avec Fellini, elle résonne dans un souffle d’outre-mer. Elle trouve un succès international: Hollywood l’accueille dans La Panthère rose de Blake Edwards. On la redécouvre avec John Wayne, Rita Hayworth et Burt Lancaster. «C’est fantastique parce que j’ai vécu des milliers de vies, pas seulement ma vie», disait-elle.
Indépendante, sûre d’elle, Claudia Cardinale est maîtresse de ses propres décisions. Elle est de plus en plus consciente de sa beauté fulgurante et de son charme d’actrice. Mais elle refuse d’être prisonnière d’une image arrêtée. Elle décline les scènes de nudité et les contrats exigeants. «Heureusement, je ne me suis jamais confondue avec la fille en photo dans les journaux. Sinon j'aurais perdu la tête», atteste-t-elle. C’est à Rome qu’elle se retrouve, près de la mer, l’eau de sa source. Avec le cran et tout l’amour d’une mère célibataire, elle élève seule son fils Patrick et sa fille Claudia, née de sa relation avec le réalisateur Pasquale Squitieri. Elle n’accepte pas de l’épouser. Pour elle, on ne peut pas garder l’amour sous les verrous.
En 2000, elle devient ambassadrice de bonne volonté pour l’Unesco, défendant la cause des femmes et des filles dans le monde entier. En 2017, à presque 80 ans, le Festival de Cannes choisit une photo d’elle pour son affiche officielle. Jusqu’à la fin, elle assume ses rides et son âge, refusant de s’abandonner au monde des faux-semblants. Sa philosophie pourrait se résumer ainsi: «On a si peu l'habitude du vrai que la moindre vérité, même le plus placidement émise, prend tout de suite un air d'insolence.»
Claudia Cardinale s’est éteinte le 23 septembre 2025 à Nemours, entourée de ses enfants. Elle laisse en héritage 175 films et un mythe incandescent, brûlant de Tunis à Rome, au fin fond des âmes, bercé par le souffle de la Méditerranée.
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