Reconnaissance de la Palestine: un geste symbolique... mais vide de sens
Le drapeau de l'État palestinien flotte à l'entrée de l'hôtel de ville de Nantes, le jour où la France prévoit de reconnaître l'État palestinien aux Nations unies, le 22 septembre 2025. ©Loic Venance / AFP

Le 21 septembre, plusieurs capitales occidentales – Londres, Ottawa, Lisbonne et Canberra – ont annoncé la reconnaissance d’un État palestinien. La France, elle, doit leur emboîter le pas lundi, Emmanuel Macron ayant confirmé que Paris officialiserait sa décision à l’ONU.

L’initiative, adossée à une résolution de l’Assemblée générale de l’ONU quelques jours plus tôt, se veut un signal fort pour «sauver» la solution à deux États et répondre à la crise humanitaire à Gaza. 

Mais sur le terrain, la réalité demeure inchangée: la gouvernance palestinienne reste fragile, la sécurité israélienne menacée, et la dynamique du conflit inchangée.

Geste performatif plutôt qu’outil de paix

Le think tank américain Washington Institute qualifie ces reconnaissances de «performatives», davantage destinées à «faire bien» vis-à-vis d’opinions publiques agitées qu’à «faire utile».

Selon le même think tank, l’unique reconnaissance qui compte réellement pour les Palestiniens est celle d’Israël, non celle de la France ou du Royaume-Uni. L’effet concret est nul, sinon celui d’offrir au Hamas une victoire politique symbolique alors même que des otages israéliens restent détenus à Gaza.

De son côté, la Foundation for Defense of Democracies (FDD) rappelle les critères juridiques définissant un État selon la convention de Montevideo (population permanente, gouvernement effectif, territoire défini, capacité à nouer des relations internationales). Or, l’Autorité palestinienne (AP) ne contrôle pas Gaza depuis 2007, soit près de 40% de la population du futur État. Elle ne peut donc ni garantir l’application de traités, ni monopoliser l’usage de la force – fonctions régaliennes d’un État souverain. «Reconnaître un État qui ne satisfait pas ces critères revient à affaiblir la norme internationale», prévient la FDD, qui y voit un dangereux précédent exploitable par d’autres mouvements séparatistes en Europe.

L’Autorité palestinienne, incompétente et corrompue

Les critiques visent aussi l’Autorité palestinienne elle-même. Le président palestinien, Mahmoud Abbas, élu en 2005 pour quatre ans, est toujours au pouvoir vingt ans plus tard. 

Les sondages du Palestinian Center for Policy and Survey Research montrent qu’en mai 2025, 81% des Palestiniens réclamaient sa démission. 

De plus, le think tank américain Freedom House classe les territoires palestiniens parmi les régimes les plus restrictifs en matière de droits et de libertés. La corruption est endémique et l’AP peine à contrôler ses propres villes, où des milices islamistes liées à l’Iran imposent leur loi. 

À Jénine et à Naplouse notamment, des zones entières sont passées sous l’autorité de groupes armés. Le Tanzim, aile militante issue du Fatah, s’y est reconstitué en force locale incontrôlée, tandis que le Jihad islamique palestinien, directement financé et entraîné par les Gardiens de la révolution iraniens, coordonne désormais ses opérations avec le Hamas dans des «salles de commandement conjointes». 

Selon le Jerusalem Center for Security and Foreign Affairs (JCSFA), les Gardiens de la révolution ont mis en place des réseaux de contrebande d’armes via la Syrie, le Liban et la Jordanie, permettant d’introduire des fusils automatiques, des RPG, des mines antichars et des explosifs artisanaux.

Ces milices ont déjà produit leurs propres roquettes à Jénine – le «bataillon Al-Ayash» a revendiqué plusieurs tirs expérimentaux depuis la Cisjordanie entre 2024 et 2025. 

À Naplouse, les Brigades des martyrs d’Al-Aqsa, autrefois sous la bannière du Fatah, coopèrent désormais ouvertement avec des conseillers iraniens. La situation est telle que les forces de sécurité de l’AP n’osent plus entrer dans certains quartiers, transformés en sanctuaires armés.

Comme le résume le JCSFA, l’AP «n’exerce plus qu’une autorité nominale sur des territoires dominés de facto par des factions soutenues par Téhéran. Si l’AP ne peut maintenir l’ordre dans ses villes, elle sera incapable de sécuriser un État souverain».

Après le 7-Octobre: sécurité israélienne et otages, angles morts de la reconnaissance

Pour Israël, la séquence diplomatique ne peut être dissociée du traumatisme du 7 octobre 2023. Le Washington Institute souligne qu’une majorité écrasante d’Israéliens, de gauche comme de droite, voient dans un État palestinien la perspective d’un «nouveau Gaza», cette fois à neuf kilomètres de Tel Aviv. 

La menace est jugée existentielle: l’artillerie légère suffirait à paralyser les infrastructures vitales du pays. Or, aucune des reconnaissances occidentales n’est conditionnée à la libération des otages ou au désarmement du Hamas – ce qui renforce la perception d’un «prix remis au terrorisme».

À Paris comme à Londres, la décision est lue par les think tanks comme un choix motivé par des calculs internes. Le Washington Institute souligne la volonté d’Emmanuel Macron de se repositionner sur la scène internationale, face à une gauche critique et à un climat social tendu.

Au Royaume-Uni, Keir Starmer cède à la pression de son parti et d’une opinion marquée par les images de famine à Gaza. L’Atlantic Council va plus loin: sans plan concret, la reconnaissance reste «une rhétorique», utile pour calmer les opinions mais insuffisante pour modifier les équilibres régionaux.

Deux États: une orthodoxie en voie d’obsolescence?

La solution à deux États reste le cadre officiel des diplomaties occidentales. Mais pour nombre d’analystes, elle est devenue obsolète. Le JCSFA rappelle que l’«entité moins qu’un État» évoquée par l’ancien Premier ministre israélien, Yitzhak Rabin, en 1995 correspond toujours mieux à la réalité qu’une souveraineté pleine et entière. 

Ce dernier entendait par là une autonomie élargie pour les Palestiniens, avec des compétences administratives, mais sans les attributs régaliens d’un État souverain tels qu’une armée ou le contrôle total des frontières.

L’Atlantic Council parle d’une «orthodoxie héritée d’Oslo», déconnectée des réalités: expansion continue des colonies, rejet israélien, fragmentation palestinienne et instrumentalisation iranienne.

Au lieu de gestes symboliques, le Washington Institute prône un plan opérationnel pour «l’après-Gaza»: sécurisation, démilitarisation, administration transitoire et réforme profonde de l’AP. 

Sans cela, avertit le think tank, la reconnaissance nourrit surtout les extrêmes: en Israël, elle offre un prétexte à l’annexion; côté palestinien, elle renforce la prime aux symboles et à l’intransigeance.

Au total, la reconnaissance de dimanche dernier envoie un signal politique fort mais ne modifie en rien la donne. Elle ne libère pas les otages, n’affaiblit pas le Hamas, ne réforme pas l’AP et ne rassure pas les Israéliens. 

Sans conditions concrètes ni plan crédible, elle reste un geste d’affichage – l’expression d’un horizon politique, mais non son commencement. Hélas, les beaux slogans ont tendance à faire beaucoup de bruit, aussi saugrenus soient-ils.

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