
À la veille du premier anniversaire de la guerre de septembre, Israël a intensifié ses attaques contre le Liban. Dimanche après-midi, un raid à Bint Jbeil a fait cinq morts, dont trois enfants, et deux blessés. Cette escalade alimente les spéculations: s’agit-il du début de la mise en œuvre du plan B évoqué par le sénateur Lindsey Graham, selon lequel le désarmement n’est pas négociable (soit le Hezbollah s’y conforme, soit Israël obtient le feu vert pour agir), ou bien une simple manœuvre destinée à forcer la main du Hezbollah durant le délai des soixante jours?
Un haut responsable sécuritaire juge que la situation au Liban est bloquée et doit immanquablement être relancée. Selon des sources bien informées, Nabih Berry pourrait, en temps voulu, tenter une initiative susceptible de sortir le pays de l’impasse en réaffirmant l’exclusivité des armes aux mains de l’État, après avoir conseillé au Hezbollah, via un émissaire iranien, d’ouvrir une nouvelle page avec l’Arabie saoudite. Le Premier ministre Nawaf Salam souligne que ce principe, prévu dès Taëf en 1989, aurait dû s’appliquer depuis 36 ans, mais avait été rejeté par le Hezbollah, alors appuyé par l’Iran et la Syrie.
Dans ce contexte, des cercles européens n’écartent pas l’hypothèse d’une médiation iranienne après la rencontre entre Mohammed ben Salmane et Ali Larijani.
D’ailleurs, peu après cette rencontre, le député Mohammad Raad recevait le conseiller du président Joseph Aoun, le général André Rahal – une rencontre que les médias du Hezbollah ont qualifiée de positive. Le secrétaire général du Hezbollah, Naïm Qassem, a de son côté invité Riyad à ouvrir une nouvelle page avec la «Résistance», affirmant qu’Israël reste l’ennemi, et non le Hezbollah.
Parallèlement, des diplomates occidentaux redoutent une explosion de la situation, rejoignant les analyses sécuritaires qui anticipent un tournant majeur susceptible de sortir le pays de son marasme et d’ouvrir la voie à une solution.
Les réunions entre Joseph Aoun et le Hezbollah avaient été interrompues après les deux séances du Conseil des ministres des 5 et 7 août, qui avaient entériné l’exclusivité des armes aux mains de l’État, conformément à l’accord de Taëf (1989), aux résolutions arabes et internationales, au discours d’investiture et à la déclaration ministérielle. Autant de références reconnues par le Hezbollah… mais jamais appliquées. Des médiateurs ont ensuite tenté de rétablir le dialogue entre Baabda et Haret Hreik, mais le Hezb a accusé le président Aoun d’avoir abandonné sa position centriste.
Or, ces médiateurs rappellent que le Liban est un pays de consensus, de compromis et de dialogue, où seule une approche progressive peut porter ses fruits, loin de toute tentative de coup d’État politique ou militaire. Pour le Hezbollah, en revanche, la position du président Aoun équivalait à un projet de coup d’État contre lui; ce qui a soudé la communauté chiite derrière lui et son armement, considérés comme garants de sa protection.
Selon ces milieux, les discussions en cours visent moins à trouver une issue qu’à contenir les tensions. Le Hezbollah redoute notamment le retour de Morgan Ortagus au comité de surveillance du cessez-le-feu et se demande ce qu’il adviendrait s’il annonçait qu’il refuse de coopérer au sud du Litani et de se retirer de cette zone.
Un activiste chiite déplore d’ailleurs que les responsables n’aient pas suivi les nombreux conseils reçus et aient cédé aux pressions extérieures: «À supposer que les négociations internes aboutissent, comment gérer la dimension extérieure?»
Du côté du Hezbollah, on insiste enfin sur le fait que la visite de Nabih Berry à Baabda ne prête à aucune controverse: le tandem chiite ne recherche ni confrontation avec le président Aoun, ni avec l’armée.
En revanche, la visite récente de l’envoyé présidentiel à l’ambassade d’Iran, suivie de l’entretien entre M. Aoun et son homologue iranien, Massoud Pezeshkian, en marge du sommet de Doha, est considérée comme dénuée de portée réelle: le dossier libanais ne relève plus désormais de la présidence ni du ministère des Affaires étrangères, mais directement de l’autorité du Guide suprême.
Larijani aurait clairement signifié à Joseph Aoun lors de sa dernière visite que «désormais, la relation passe par le Guide suprême, car le Liban fait partie intégrante de la sécurité nationale iranienne». Une source sécuritaire résume: «Le Liban a été placé entre les mains du Guide suprême en contrepartie de l’implication saoudienne dans le pays.»
Dans ce contexte, le Hezbollah martèle qu’il ne remettra pas ses armes, quelle que soit la formule proposée, et qu’il poursuivra sa confrontation avec Israël malgré le déséquilibre des forces. Le parti rappelle avoir déjà payé un lourd tribut et rejette toute concession. Selon lui, Israël a violé l’accord de cessez-le-feu et la résolution 1701, multipliant violations et assassinats de ses cadres. Et de préciser: «Nous n’accepterons pas les conditions israéliennes concernant le sud du Litani. C’est à Israël de respecter le cessez-le-feu et la résolution 1701 qu’il a signée.»
Face à cette réalité et selon des sources ministérielles, Washington a pris acte de la position libanaise après les explications du commandant en chef de l’armée, le général Rodolphe Haykal: tant qu’Israël n’aura pas évacué les cinq points et appliqué le cessez-le-feu, l’armée libanaise ne pourra déployer pleinement ses troupes à la frontière. Un délai a donc été accordé jusqu’à la fin de l’année, tandis que le Hezbollah a durci son discours en réaffirmant son refus de remettre ses armes.
À la veille d’une possible relance des négociations nucléaires irano-américaines, l’arsenal du Hezbollah demeure, plus que jamais, une carte de négociation entre les mains de l’Iran. C’est dans cette logique que s’inscrivent les propos de Larijani sur l’intégration du dossier libanais dans la stratégie de sécurité nationale iranienne. Partant, croire que le Hezbollah se pliera à une décision du gouvernement est purement illusoire: le sort de ses armes se joue désormais à Téhéran. La rencontre entre Larijani et Mohammed ben Salmane envoie d’ailleurs un message clair à Washington, qui refuse d’aborder le dossier libanais avec l’Iran.
La vraie question reste donc entière: le tandem chiite prendra-t-il le risque de s’affranchir de la tutelle du Guide suprême?
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