
Trois milliards de dollars. Telle serait la somme prévue par le Hezbollah pour lancer un projet de reconstruction des zones dévastées par la guerre, via son projet Waad et l’association Jihad el-Bina. Or, lorsque l’on sait (ou croit savoir) que la formation est censée être à court d’argent, du fait des sanctions (notamment américaines) mais aussi du «blocus» tant terrestre, qu’aérien et maritime, imposé pour contrer l’entrée de toute aide iranienne, l’on ne peut que se demander d’où pourraient provenir ces trois milliards de dollars.
Pour y répondre, Ici Beyrouth se penche sur les sources possibles de financement d’un tel projet mais aussi sur la position de l’État libanais, tout en évaluant les implications sécuritaires et politiques, notamment vis-à-vis d’Israël, qui pourrait voir dans cette reconstruction rapide un signe de réarmement ou de reconstitution du Hezbollah.
Quand l’insolence défie l’entendement
Outre les pertes humaines, souvent stratégiques, la guerre qui a opposé le Hezbollah à Israël au lendemain de l’offensive du 7 octobre 2023, aura infligé d’importants dégâts matériels au Hezbollah. Selon un rapport de la Banque mondiale datant du 7 mars 2025, les dommages directs dans dix secteurs au Liban atteignent 7,2 milliards de dollars et les besoins de reconstruction et de relance postconflit sont estimés, eux, à 11 milliards de dollars. Le document évalue les dommages, les pertes et les besoins dans dix secteurs, à l’échelle nationale, et couvre la période allant du 8 octobre 2023 au 20 décembre 2024.
Sur ces 11 milliards, 3 à 5 milliards devront être financés, selon le rapport, par des fonds publics, dont 1,1 milliard pour les infrastructures critiques (énergie, transport, services municipaux, eau et irrigation). Les 6 à 8 milliards restants nécessiteront, toujours selon la même étude, un financement privé, principalement pour le logement, le commerce, l’industrie et le tourisme.
À noter que trois mois après la publication du rapport, soit le 24 juin 2025, la Banque mondiale approuve un financement de 250 millions de dollars destiné au Liban pour soutenir les réparations urgentes et la reconstruction des infrastructures publiques essentielles, des services vitaux endommagés, ainsi que la gestion durable des décombres dans les zones touchées par le conflit. Ainsi le projet d’assistance d’urgence au Liban (LEAP) voit-il le jour. Structuré comme un cadre évolutif d’un milliard de dollars, il consiste en une première contribution de 250 millions de dollars, avec la possibilité d’intégrer efficacement des financements supplémentaires, sous forme de dons ou de prêts, le tout selon une structure unifiée dirigée par le gouvernement, qui met l’accent sur la transparence, la responsabilité et les résultats.
Or, ironie du sort, ces sommes sont jugées «insuffisantes» par le Hezbollah qui estime qu’elles «n’équivalent pas au quart» de ce qu’il affirme avoir lui-même investi dans les réparations et la réhabilitation (restauration de 402.000 unités résidentielles, hébergement de 15.000 familles et déblaiement de 90% des décombres, à l’exception des villages frontaliers, selon des chiffres de la formation pro-iranienne). N’est-ce pas précisément lui qui a déclenché la guerre et provoqué ces destructions? Ne devrait-il pas en assumer pleinement la responsabilité? Quand l’insolence défie l’entendement.
Le «parti de Dieu» sait la colère qui monte dans ses propres bastions, où l’on exige des comptes. Acculé, il n’a d’autre choix que de jouer les sauveurs, lançant son grand plan de reconstruction pour étouffer la grogne, rallier sa base et prouver que, lui au moins, «agit». D’où le lancement du projet de reconstruction à 3 milliards de dollars. En quoi consiste-t-il?
Un chantier ou un instrument de pouvoir?
Selon des sources proches du dossier, le plan se déploierait en trois étapes. La première prévoit l’injection d’un milliard de dollars pour reconstruire la banlieue sud de Beyrouth. Les deuxième et troisième phases mobiliseraient des montants équivalents en faveur des localités du sud et de la Békaa, elles aussi durement touchées par la guerre. Une enveloppe supplémentaire de 500 millions de dollars servirait à indemniser rapidement les familles sinistrées, afin d’apaiser la colère populaire et de consolider l’assise sociale du parti.
L’objectif affiché est clair: reconstruire plus vite que l’État, calmer les oppositions internes et renforcer l’emprise du Hezbollah sur les territoires frappés. Attribution des contrats, relogement et indemnisation deviennent ainsi autant de leviers d’influence politique et sociale. Des experts mettent toutefois en garde contre le risque d’«infrastructures à double usage». En d’autres termes, contre des tunnels ou des dépôts qui risqueraient d’être discrètement intégrés dans les chantiers civils – une pratique déjà dénoncée par Washington en 2006, au lendemain de la guerre qui avait également opposé le Hezbollah à Israël.
Une fois le programme officiellement lancé (il ne l’a pas encore été), place à la «collecte de fonds» et à l’exécution. Pour financer son projet, le Hezbollah miserait, selon des sources concordantes, sur un cocktail de dons privés, de circuits informels régionaux et de transferts iraniens échappant aux circuits bancaires officiels. Une opacité qui expose partenaires, entreprises et sous-traitants à de possibles sanctions, et rend tout audit international pratiquement impossible. Pour l’exécution, la formation entend s’en remettre à deux de ses structures clés: Jihad el-Bina et le projet Waad. De quoi s’agit-il?
Créée dans les années 1980, cette organisation d’ingénierie et de travaux publics du Hezbollah s’est illustrée après la guerre de 2006 en reconstruisant la banlieue sud de Beyrouth à un rythme spectaculaire. Son efficacité lui a valu une solide réputation mais aussi de sévères critiques: manque de transparence, qualité inégale des constructions et priorité donnée aux proches du mouvement. Inscrite sur les listes de sanctions américaines, Jihad el-Bina est accusée de servir de paravent logistique et de canaliser des fonds iraniens, tout en échappant largement aux normes et audits internationaux.
De son côté, le projet Waad (Promesse) centralise les dons, recrute ingénieurs et entrepreneurs, et sélectionne les bénéficiaires. Déjà utilisé après 2006, il avait permis de rebâtir des centaines d’immeubles en un temps record, mais au prix d’une opacité persistante et d’un accès inégal aux aides. Waad offre au Hezbollah un double avantage: contourner les obstacles financiers et renforcer son contrôle social et politique sur les zones reconstruites.
Chaque chantier devient ainsi un instrument de pouvoir, consolidant l’image d’un «État dans l’État», de quoi constituer un motif supplémentaire pour Israël, qui n’entend pas «lâcher» le Hezbollah de sitôt…
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