
De la tournée à caractère sécuritaire de l’envoyée spéciale américaine, Morgan Ortagus, dimanche au Liban, plusieurs constantes sont à relever. Il faut dire que c’est sur fond de réaffirmation de la volonté étatique de s’attribuer le monopole des armes que Mme Ortagus a participé, à Ras Naqoura, à une réunion du Comité de supervision du cessez-le-feu, en présence du commandant du Centcom, l’amiral Brad Cooper.
C’est après un survol de la zone frontalière du Liban-Sud, à bord d’un hélicoptère militaire de l’armée libanaise, qu’un accord visant à réactiver le rôle du mécanisme chargé de surveiller les violations du cessez-le-feu a été conclu. Un geste symbolique qui, d’une part, permet de relancer les démarches après une longue période de quasi-interruption de la mission et, d’autre part, de rappeler que la stabilité doit être inscrite dans un cadre institutionnel renforcé, souligne-t-on de source proche du dossier.
Pour sa part, l’amiral Cooper a assuré un soutien logistique et militaire accru à l’armée libanaise, réaffirmant l’engagement des États-Unis dans la stabilité régionale. Sa visite en Israël la veille, où il a consolidé les liens avec les chefs militaires, souligne l’ampleur stratégique de ce déplacement. Il s’agit autant d’appuyer l’armée dans son discours que dans ses capacités concrètes de déploiement, dans un contexte où, selon des sources diplomatiques, «Washington est pressé d'aboutir au désarmement, sans attendre indéfiniment».
Les autorités libanaises, elles, comptent sur une pression américaine sur Israël pour faciliter le déploiement complet de l’armée dans le sud, déjà présente sur plus de 85% du territoire, selon des sources militaires.
Visite Ortagus-Cooper: une approche en deux volets
La visite de l’envoyée spéciale intervient deux jours après l’approbation, par le gouvernement, du plan de l’armée libanaise. Vendredi, le Cabinet a approuvé la feuille de route de l’institution militaire, qui consiste à désarmer toutes les milices et à garantir le monopole des armes par l’État.
Cette décision s’inscrit dans la continuité de celles précédemment prises (les 5 et 7 août derniers) et constitue une extension du message américain ferme. Pour Washington, le retrait des armes du Hezbollah et de toutes les milices constitue une condition sine qua non pour la restauration de la souveraineté de l’État et pour le redressement du pays.
Il n’en reste pas moins que cette décision a été pointée du doigt par certains bords politiques. Si certaines parties ont regretté l’absence de délais précis ou qualifié la décision d’«assouplie», c’est bien le contenu qui compte, estiment certains observateurs: le projet devient désormais exécutoire, sans retour possible à une situation antérieure.
Ainsi, la visite conjointe Ortagus-Cooper illustre une approche en deux volets, précise-t-on de source susmentionnée: l’un diplomatique, légitimant et accompagnant politiquement la feuille de route gouvernementale; l’autre militaire, préparant les outils concrets d’application sur le terrain. En d’autres termes, toujours selon la même source, «Ortagus agissait en tant que garante d’un récit politique, prônant la construction de l’État et la légitimité de l’armée, tandis que Cooper apportait une caution militaire tangible au plan en cours. Ensemble, ils ont fait résonner l’idée que la souveraineté de l’État passe par un contrôle exclusif de la puissance coercitive».
Et d’ajouter: «Aujourd’hui, le Liban se trouve à un moment charnière: affirmer l’intégrité de l’État tout en gérant les équilibres politiques internes et les contraintes géostratégiques externes.»
Interrogé par Ici Beyrouth, le journaliste et politologue Ali Hamadé a noté que «pour Ortagus, la prochaine étape consiste en un retour à Washington pour tenter de lever des fonds afin d’aider l’armée libanaise dans la mise à exécution de son plan». Le but est, selon lui, de permettre à l’institution militaire d’en finir avec la première partie de sa mission actuelle, à savoir toute la région du sud du Litani, et ce, dans un délai de quelques semaines. Comment? «En lui apportant tout le soutien logistique et financier requis pour ce faire, avant de passer aux zones restantes.»
Dans ce contexte, la réaction du Hezbollah reste une variable majeure. La formation, à travers son secrétaire général, Naïm Qassem, maintient officiellement la position selon laquelle le désarmement ne peut se faire qu’après le départ d’Israël des cinq points stratégiques qu’il continue d’occuper au Liban-Sud et l’ouverture d’un processus national de reconstruction. Quant au vice-président du Conseil politique du Hezbollah, Mahmoud Comati, il insiste sur une «stratégie de sécurité nationale», tandis que certains leaders internes dénoncent tout démantèlement sans compromis.
Si le plan se concrétise rapidement par le contrôle effectif de l’armée sur des zones historiquement sous influence du Hezbollah, cette posture pourra être mise à l’épreuve, d’autant qu’à l’issue de sa rencontre avec le président Joseph Aoun à Baabda, lundi matin, le chef du Parlement et allié du Hezbollah, Nabih Berry, s’est montré optimiste.
Les prochaines semaines seront cruciales, et seuls le temps, la volonté institutionnelle et la pression extérieure seront déterminants.
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