La mission de la délégation américaine, conduite par les deux émissaires Tom Barrack et Morgan Ortagus, a confirmé mardi l’alignement croissant entre Washington et les autorités libanaises, qui tracent, ensemble, mais avec le soutien de la communauté internationale, la voie vers la réédification d’un État libanais.

Cette convergence de vues s’est clairement manifestée au fil d’une journée marathon de discussions, au cours de laquelle les deux émissaires américains, accompagnés des sénateurs Jeanne Shaheen et Lindsey Graham, et de l’ambassadrice américaine, Lisa Johnson, ont été reçus tour à tour par le président Joseph Aoun; le président de la Chambre, Nabih Berry; le Premier ministre, Nawaf Salam; et le leader druze, Walid Joumblatt, en présence des députés Taymour Joumblatt, Marwan Hamadé et Waël Bou Faour.

On se trouve aujourd’hui un peu moins dans la phase rhétorique autour des moyens de renforcer la souveraineté libanaise et un peu plus dans la phase exécutoire, autour de laquelle les consultations ont essentiellement porté.

La petite phrase de Tom Barrack, selon laquelle «le Liban est sur la bonne voie» veut d’ailleurs tout dire. À la délégation américaine, mais aussi à tous les Libanais qui attendent avec impatience d’avoir un État digne de ce nom et d’en finir avec les pratiques miliciennes qui ont fait du pays une jungle dirigée selon la loi du plus fort, les dirigeants libanais ont confirmé que la semaine prochaine, et plus précisément le 2 septembre, l’armée présentera au Conseil des ministres, son plan pour le désarmement des milices.

Il s’agit de la première phase d’un processus qui devrait s’achever à la fin de l’année, selon le calendrier établi par le Conseil des ministres au cours de ses deux réunions du 5 et du 7 août.

Un an supplémentaire pour la Finul

Le processus enclenché, ont assuré de concert les deux parties américaine et libanaise, est «irréversible». Il sera associé progressivement de mesures parallèles prises par les Israéliens, suivant le principe du donnant-donnant, fondé donc sur la réciprocité, en application de la feuille de route américaine pour le Liban. Celles-ci impliquent essentiellement un retrait des cinq points frontaliers, une cessation graduelle des attaques et des assassinats ciblés, et une libération, également graduelle, des prisonniers libanais.

Si peu d’indications sont pour l’heure disponibles sur le mécanisme qui sera appliqué par Tel Aviv, un premier signe de bonne volonté a été donné au Liban à travers l’annonce faite par Tom Barrack au sujet d’une prolongation, pour un an supplémentaire, du mandat de la Finul qui expire le 31 août. Israël et les États-Unis, rappelle-t-on, étaient opposés à ce renouvellement et considéraient que la Finul n’avait pas rempli sa mission, alors que le Liban insistait pour le maintien de la force multinationale.

Par la voix de son émissaire, Washington estime que l’armée libanaise est parfaitement capable d’assumer ses missions pour consolider l’autorité de l’État sur l’ensemble du territoire. Le délai d’un an devrait permettre à la Finul de passer la main doucement aux forces régulières.

Beyrouth ne semble cependant pas hostile à cette perspective, dans la mesure où un désarmement du Hezbollah, associé à la mise en vigueur de toutes les dispositions de l’accord de cessez-le-feu du 27 novembre 2024 et de la feuille de route américaine, mettrait le Liban à l’abri des conflits militaires dans lesquels la formation pro-iranienne a pris l’habitude de l’entraîner. Surtout si, comme l’a espéré Tom Barrack, Beyrouth engage des discussions directes avec Tel Aviv, à l’instar de celles menées actuellement entre la Syrie et Israël.

Soutien à l’armée

En recevant au Grand Sérail la délégation américaine, Nawaf Salam a exprimé l’espoir d’«un élargissement urgent du soutien militaire et financier à l’armée pour qu’elle puisse assumer ses missions», en insistant sur le fait que cet appui «est fondamental pour une consolidation de la sécurité et de la stabilité dans toutes les régions libanaises»; autrement dit, dans les zones frontalières avec la Syrie, une partie des discussions ayant porté sur les relations avec la nouvelle administration syrienne.

La délégation américaine s’est montrée rassurante sur ce plan. Elle a relayé aux autorités libanaises des messages positifs de la part du président Ahmad el-Chareh, qui dit vouloir entretenir les meilleures relations avec le Liban et qui dépêche, jeudi, une délégation officielle à Beyrouth. Celle-ci amorcera avec les autorités libanaises des discussions autour d’un certain nombre de dossiers d’intérêt commun.

Reste le paramètre irano-hezbollahi, seul obstacle au plan de rétablissement de la souveraineté libanaise, au vu de l’ingérence iranienne dans les décisions souveraines libanaises et des menaces de guerre civile du Hezbollah.

Mardi, dans les discours officiels du moins, celui-ci a été totalement occulté. Mais dans les propos qu’il a tenus devant la délégation américaine, Nawaf Salam a indirectement répondu aux discours hostiles du chef du Hezb, Naïm Kassem, en réaffirmant que le processus de désarmement et de rétablissement de la souveraineté libanaise est «une exigence et une nécessité libanaises dont la mise en œuvre a tardé des années, ce qui a fait perdre au Liban d’importantes opportunités dans le passé».

Ce silence reste cependant éloquent. Sur deux plans principaux. Il tend d’abord à démontrer que nul n’est intimidé par les menaces répétées du Hezb. Il montre également, qu’au moment où ce groupe essaie, par la voix de son chef, de s’imposer encore comme le principal décideur du sort et de la politique du pays, Washington et le pouvoir au Liban le ramènent à ce qu’il est: une composante libanaise qui se doit, comme toutes les autres, de se soumettre à l’autorité de l’État en voie de réaffirmation.

L’envoyée américaine adjointe, Morgan Ortagus, l’a relevé lundi, lorsqu’elle a affirmé, lors d’une interview exclusive accordée à Ici Beyrouth, que le Hezbollah «ne représente pas le Liban et les Libanais, mais des forces étrangères, en l’occurrence l’Iran». Plus encore, elle a insisté sur le fait que «même le président de la Chambre, Nabih Berry», principal allié du Hezb «a adhéré au projet de réédification de l’État».

Priée aujourd’hui de commenter le dernier discours de Naïm Kassem, elle a lâché un laconique «pathétique».

Un mot de trop qui n’a pas fait réagir le Hezbollah, mais bien l’ambassade d’Iran à Beyrouth. Sur son compte X, cette dernière a publié un véritable réquisitoire contre la délégation américaine, dénonçant «l’arrogance et le despotisme américains» qu’elle a qualifiés de «pathétiques», tout en critiquant le «manque de courtoisie des émissaires américains».

La réaction iranienne a donné raison à Morgan Ortagus et a confirmé une évidence: de plus en plus isolé sur la scène libanaise et avec une marge de manœuvre politique de plus en plus réduite, le Hezb n’a plus que l’Iran pour le défendre.

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