Somalie: les combats entre armée et forces régionales, une opportunité pour les shebab
Le conflit entre Mogadiscio et le Jubaland s’aggrave, fragilisant la lutte contre les shebab. 38 000 déplacés, des tensions à l’approche des élections. ©Pexels

Les récents affrontements entre l'armée nationale et les forces de la région du Jubaland (Sud) constituent le dernier exemple en date des failles du système fédéral en Somalie, et offrent aux insurgés shebab une nouvelle occasion de gagner du terrain, selon des experts.

La Somalie est une fédération d'États semi-autonomes, dont certains, comme le Jubaland, entretiennent des relations houleuses avec le gouvernement central de Mogadiscio.

La semaine dernière, deux militaires de l'armée nationale ont été tués dans des affrontements avec les forces de cette région frontalière du Kenya et de l'Éthiopie, quelques jours après l'appel à la mobilisation des deux camps dans la région. Cinq soldats avaient déjà péri en juillet.

Le Jubaland a accusé le gouvernement fédéral de «provocation délibérée».

Selon des experts, la Somalie tente de renforcer son contrôle sur ses États membres avant des élections prévues l'année prochaine. Mais ce faisant, l'exécutif crée des «failles» sécuritaires «permettant l'infiltration des shebab», dont les militants sont liés à Al-Qaïda.

Le pays instable de la Corne de l'Afrique lutte depuis le milieu des années 2000 contre ce groupe, avec des hauts et des bas.

Depuis le lancement d'une offensive au début de l'année, les shebab ont pris le contrôle de dizaines de villes et villages, effaçant la quasi-totalité des avancées réalisées par le gouvernement somalien lors d'une campagne militaire de 2022 et 2023.

«Revers» 

«Une fois que l'attention s'est déplacée de la lutte contre les shebab vers la politique (…) nous avons commencé à constater des pertes et des revers sur le champ de bataille», observe Samira Gaid, analyste pour le think tank Balqiis.

Le groupe terroriste exploite les luttes de pouvoir entre État et régions – les relations sont également houleuses avec le Puntland (Nord) – comme une «campagne de recrutement», poursuit-elle, interrogée par l'AFP.

«Ce genre d'incidents ne profite à personne», si ce n'est aux insurgés, regrette-t-elle encore. Un avis partagé par d'autres experts, selon lesquels les combats soulignent surtout la faiblesse de Mogadiscio.

«L'accord politique était insuffisant lors de la formation du gouvernement fédéral somalien en 2012 (…) et c'est pourquoi il existe des tensions et des conflits constants au sein du modèle fédéral», résume Omar Mahmood, expert régional pour l'International Crisis Group.

Les accrocs entre l'autorité centrale et le Jubaland se sont accrus depuis la réélection fin 2024 d'Ahmed Madobe au poste de président régional pour un troisième mandat, un processus jugé «illégal» par Mogadiscio, la Constitution prévoyant deux mandats.

Un mandat d'arrêt a alors été émis contre M. Madobe.

«Si la situation s'aggrave maintenant, c'est parce que nous nous rapprochons des élections», remarque M. Mahmood, alors que le Jubaland avait rompu ses relations avec Mogadiscio l'année dernière.

Le président somalien, Hassan Sheikh Mohamud, fait pression pour que le pays organise l'année prochaine sa toute première élection au suffrage universel direct, mais M. Madobe s'y est opposé en organisant un scrutin indirect.

«Contrôle» 

MM. Madobe et Mohamud «veulent tous deux exercer un contrôle sur Gedo (la région du Jubaland où les affrontements se sont tenus la semaine dernière, NDLR), afin de pouvoir ensuite contrôler le processus électoral», analyse l'expert de l'International Crisis Group.

Le mois dernier, le président somalien a nommé un ancien ministre de l'administration de M. Madobe, Abdirashid Hassan Abdinur, plus connu sous le nom de Janan, comme son homme fort à Gedo, où il est très influent.

Janan a déjà été accusé par l'ONU de graves violations des droits humains.

Après les affrontements de la semaine dernière, Janan a annoncé la prise de contrôle de Beled Hawo, une ville clé de Gedo située le long de la frontière kényane, ainsi que la formation d'une nouvelle administration dans la région.

Les violences dans le Jubaland ont eu de lourdes conséquences sur la population. Depuis juin, 38 000 personnes ont fui à l'intérieur de la Somalie et 10 200 autres se sont réfugiées au Kenya, selon des données officielles.

Mohamed Jumale, un chef traditionnel pro-Madobe, paraît toutefois loin d'être convaincu par les efforts de Mogadiscio.

«Nous entendons dire que le gouvernement fédéral tente d'annexer Gedo (…) afin de pouvoir y former une administration qui lui sera loyale», juge-t-il, interrogé par l'AFP. «Cela ne fonctionnera pas.»

Par Mary KULUNDU/AFP

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