À la frontière libano-syrienne, la souveraineté du Liban mise à l’épreuve
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Une vidéo largement partagée sur les réseaux sociaux depuis la mi-août montre un homme se réclamant des «tribus syriennes» lancer un avertissement spectaculaire qu’il adresse au Liban. 

«Nous allons envahir le Liban en l’espace de 48 heures si les détenus syriens ne sont pas libérés», déclare-t-il, en référence aux Syriens incarcérés dans la prison de Roumieh. Cette menace intervient à la suite du décès, le 14 août, d’un détenu syrien à Roumieh, événement qui a mis le feu aux poudres. 

Presque simultanément, des informations ont circulé sur l’intention de groupes extrémistes syriens d’enlever des soldats libanais en guise de représailles.

Ces tensions frontalières surviennent alors que le Liban venait d’adopter les grandes lignes d’un plan d’action présenté par l’émissaire américain Tom Barrack. Ce plan en quatre phases, soutenu par l’administration du président Donald Trump, vise à restaurer pleinement la souveraineté libanaise dans le contexte post-conflit avec Israël et post-chute du régime Assad. 

La feuille de route prévoit notamment le démantèlement des factions armées non-étatiques au Liban (au premier rang desquelles figure le Hezbollah), le déploiement intégral de l’armée sur le territoire, ainsi que le retrait israélien de certaines positions au Liban-Sud. Mais surtout, elle met l’accent sur un objectif central: la délimitation permanente des frontières du Liban, aussi bien avec Israël qu’avec la Syrie. La frontière libano-syrienne pourrait-elle devenir l’enjeu central d’une nouvelle crise?

Beyrouth cherche à rassurer

Les autorités libanaises ont rapidement réagi pour rassurer la population. L’armée libanaise a démenti des rumeurs prétendant que son aviation aurait violé l’espace aérien syrien pour surveiller la zone frontalière. 

Dans un communiqué officiel, le commandement de l’armée a qualifié ces affirmations de «totalement fausses», tout en assurant qu’il surveille de près la situation et prend toutes les mesures nécessaires pour contrôler la frontière. 

 

Une coordination est en cours avec les autorités syriennes afin de suivre l’évolution de la situation, signe que Beyrouth et Damas cherchent conjointement à éviter un dérapage sécuritaire.

La question de la frontière suspendue entre Beyrouth et Damas

Le 7 août dernier, le Conseil des ministres libanais a approuvé à l’unanimité l’engagement d’ouvrir des négociations indirectes pour tracer formellement la frontière libano-syrienne (ainsi que la frontière libano-israélienne), conformément à la feuille de route de Tom Barrack.

En d’autres termes, le plan Barrack insiste sur la nécessité de clarifier et de reconnaître officiellement la ligne frontalière avec la Syrie, un sujet longtemps en suspens entre Beyrouth et Damas.

Jusqu’à récemment, la démarcation de cette frontière n’avait jamais abouti, en partie parce que le régime syrien de Bachar el-Assad refusait de reconnaître pleinement l’indépendance du Liban après 1943. Ce flou frontalier, hérité de décennies de tutelle syrienne, a favorisé contrebande, disputes territoriales et incidents armés à répétition. 

«L’armée libanaise répond à toute tentative de violation de la souveraineté nationale, mais le principal problème réside dans l’absence de démarcation de la frontière entre le Liban et la Syrie durant la période où la Syrie refusait de reconnaître l’indépendance du Liban», soulignait en mars le ministre des Affaires étrangères, Joe Rajji.

La donne a changé depuis la chute du régime Assad fin 2024 et l’arrivée d’un nouveau gouvernement à Damas: ce dernier a officiellement reconnu la souveraineté du Liban et engagé un dialogue sur les différends en suspens. 

En avril, Beyrouth et le président intérimaire syrien Ahmad el-Chareh ont ainsi entamé des discussions sur la délimitation des frontières terrestre et maritime entre les deux pays, dans le sillage d’un cessez-le-feu qui a mis fin à de violents accrochages transfrontaliers en début d’année. 

Dans ce contexte, la feuille de route américaine apparaît comme un catalyseur pour concrétiser cette démarcation frontalière, considérée comme la clé d’une stabilité durable.

Souveraineté et droit international: le Liban peut-il réagir?

Si les menaces proférées par les clans armés syriens devaient se matérialiser par une incursion en territoire libanais, il s’agirait d’une violation grave du droit international et de la souveraineté du Liban. 

Le principe fondamental de l’ordre international, inscrit dans la Charte des Nations unies, interdit le recours à la force contre l’intégrité territoriale d’un État souverain. Toute invasion ou franchissement illégal de frontière par des forces armées constitue une agression manifeste. 

En l’occurrence, même s’il s’agit de groupes non-étatiques, le fait de pénétrer sur le sol libanais avec des intentions hostiles bafouerait les normes internationales.

Le Liban pourrait alors se prévaloir de son droit naturel de légitime défense, reconnu par l’article 51 de la Charte de l’ONU, afin de protéger son territoire et sa population. Ce droit, qui s’applique en cas d’agression armée, autorise un État attaqué à prendre des mesures militaires pour repousser l’attaque tant que le Conseil de sécurité n’est pas intervenu pour restaurer la paix. 

Le Max Planck Institute rappelle l’expérience du Conseil de sécurité après les attentats du 11 septembre 2001, avec l’adoption des résolutions 1368 et 1373, qui a démontré que ce droit peut aussi être invoqué contre des groupes armés non-étatiques si l’ampleur de l’attaque atteint un certain seuil.

La frontière, longtemps floue, s’impose désormais comme le vrai champ de bataille de la souveraineté libanaise.

 

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