
L’intelligence artificielle s’invite de plus en plus dans la création musicale, suscitant fascination et controverses. Entre expérimentations artistiques et questions éthiques, un nouveau chapitre s’ouvre pour l’industrie du son.
Du faux groupe The Velvet Sundown au mystère nimbant la nouvelle chanson de Jul, l'effervescence autour de la musique créée par l'intelligence artificielle (IA), encore «marginale», marque «le début d'un phénomène», estiment des observateurs.
«Est-ce que la chanson est une IA?», interrogeait sur le réseau social X un fan de Jul, aussi perdu que d'autres internautes face au dernier son du rappeur marseillais sorti vendredi.
Toi et moi mêle un air de guitare à la voix ultra-transformée de l'artiste, à tel point que les auditeurs le soupçonnent d'avoir réalisé ce titre avec l'aide de cette technologie.
Déjà adepte de l'utilisation intensive du vocodeur, qui permet d'obtenir une voix plus robotique, L'Ovni, meilleur vendeur d'albums de l'histoire du rap français, entretient le flou sur cette création.
Mais les exemples avérés de recours à l'IA, eux, se multiplient.
Sur son dernier album BĒYĀH, le rappeur Damso a ainsi glissé une chanson contenant des chœurs réalisés avec l'intelligence artificielle. «On tente des choses, c'est un outil», avait-il expliqué.
D'autres artistes s'en servent pour transformer leur propre voix, comme la compositrice de musique électro Delaurentis (Musicalism) ou le DJ-producteur Caribou, qui doit jouer fin août à Rock en Seine.
«A-pop» sauce Timbaland
L'IA générative brouille encore davantage les pistes en permettant de composer facilement et à bas coût des musiques instrumentales intégrées à des playlists d'ambiance, voire des morceaux chantés par de faux artistes.
Le groupe de rock The Velvet Sundown, suivi par près d’un million d'abonnés sur Spotify, a ainsi reconnu être généré par l'IA.
L'emblématique producteur américain Timbaland est allé un cran plus loin en lançant en juin Stage Zero, un label centré sur la A-pop, la pop artificielle. Sa première artiste, TaTa, a tout d'une popstar avec ses cheveux roses... sauf qu'elle n'existe pas.
«L'essor de l'IA générative a le potentiel de transformer considérablement l'industrie de la musique. Elle accélère et réduit le coût de la création et de la production de contenus», observait en juin à Paris Lisa Yang, analyste pour la banque américaine Goldman Sachs et autrice de rapports sur la filière mondiale.
Pour l'heure, «on constate plus d'écho médiatique que d'intérêt populaire sur ce sujet», d'autant qu’«en réalité la musique par IA est très marginale en termes d'écoutes par le public et de revenus», tempère Ulysse Hennessy, directeur général du média Billboard France.
Elle représente ainsi plus de 18% des contenus mis en ligne, mais 0,5% des écoutes totales sur la plateforme de streaming Deezer, qui signale désormais aux utilisateurs les albums entièrement générés par l'IA.
Dans le cas de Jul, «ce qui crée l'émoi, c'est le doute, le fait qu'on ne sache pas» si l'intelligence artificielle a été utilisée et dans quelle mesure, estime Ulysse Hennessy.
«Rémunération»
Remixer, créer des boucles, séparer des pistes : la musique s'est bâtie en partie sur l'existant, via le sample.
«Donc, évidemment, les musiciens sont excités par ça ! Le tout, c'est de ne pas appauvrir les artistes», car «l'IA pose le problème de la rémunération de la musique» sur les plateformes, avec un risque de dilution de la valeur à cause de fraudeurs, rappelle Odile de Plas, cheffe du service musique au magazine culturel Télérama.
Les détenteurs de droits demandent une régulation urgente, notamment au niveau européen, pour obtenir de la transparence sur les données utilisées par les entreprises d'IA générative, comme Suno et Udio, et garantir leurs revenus.
«On est au début d'un phénomène, dans un moment où la musique venait de se remettre sur pied par rapport à la crise du disque», souligne Odile de Plas.
Face à cette déferlante annoncée, «la relation à l'artiste, c'est ce qui va sauver la mise», veut-elle croire. «Le rapport avec lui, l'intérêt pour ce qu'il raconte, ça n'existe pas avec l'IA. C'est comme aimer un hologramme ou une poupée en silicone: ça a ses limites.»
Par Fanny LATTACH / AFP
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