
Comme chaque été, le retour des expatriés apporte une bouffée de joie aux Libanais. Mais entre escapades onéreuses et sorties qui s’enchaînent, il devient difficile pour les résidents de suivre le rythme, leur pouvoir d’achat étant toujours mis à mal par la crise.
«Expats, je vous adore! Je suis ravie de vous avoir revus, d’avoir passé du temps avec vous, surtout après l’été 2024 où la guerre faisait rage entre Israël et le Hezbollah, et où l’on vivait au rythme des mauvaises nouvelles et des bombardements», affirme Kareen, rencontrée au cœur de Beyrouth.
Elle émet toutefois un bémol. «Ça a été très difficile pour moi de suivre le rythme de mes amis et famille venus de l’étranger. Ils voulaient tout le temps sortir, et ça m’a littéralement coûté un bras… Mon salaire mensuel de 1.500 dollars, je l’ai flambé en moins de 15 jours», raconte cette jeune trentenaire, contrainte de quitter son appartement pour revenir au bercail familial en raison de la crise qui perdure depuis 2019 au Liban.
Très heureuse malgré tout, elle ajoute: «Finalement, c’est un mal pour un bien. Non seulement j’ai pu retrouver mes amis, absents du Liban depuis deux ans, mais grâce au soutien de mes parents, j’ai aussi pu couvrir mes dépenses de fin de mois.»
Même son de cloche pour Tarek, qui assure que grâce à ses amis venus de l’étranger, il a retrouvé «une bouffée d’oxygène» et surtout «passé des moments inoubliables». Pourtant, ce trentenaire confie qu’il a dû «manger des pâtes et des patates pendant plus de dix jours» après leur départ pour pouvoir «régler sa part du loyer à son coloc».
Joe, lui, attendait avec impatience la venue de sa sœur, de ses neveux et de son beau-frère. «Leur séjour est passé trop vite, mais c’était magique.» Côté dépenses, il a tenté de limiter les frais, sa sœur privilégiant les lieux simples, authentiques et peu fréquentés. «Mais ici, on a cette manie d’inviter, de tout payer. Le 50/50 ne passe pas, c’est culturel, une coutume.»
Bien que son budget soit limité, il tenait à faire plaisir à ses neveux: «Malgré la flambée des prix, j’avais envie de les gâter, à la hauteur des cadeaux qu’ils nous ont offerts.»
«Un budget de vacances»
Comme Kareen, Tarek et Joe, beaucoup de Libanais se réjouissent de revoir leurs bien-aimés, mais peinent à suivre le rythme. La faute à un pouvoir d’achat laminé par la crise qui perdure depuis 2019.
Patricia, quarantenaire, ravie, elle aussi de revoir ses proches, résume ce paradoxe: «Les expats reviennent avec leur joie de vivre et l’envie de tout tester: les nouvelles adresses, les plages, les boîtes de nuit. Mais pour nous, c’est un vrai casse-tête financier.»
Elle brosse alors le portrait d’une journée type. «Entre l’essence, l’entrée à la plage entre 35 et 45 dollars, les boissons, le déjeuner, on est déjà à plus de 100 dollars par personne.» Puis viennent l’apéro, les verres du soir (50 à 80 dollars) et parfois une soirée sur un rooftop, avec 150 dollars pour réserver une table. Sans oublier les festivals: «Comptez entre 100 et 150 dollars pour une place bien située dans les premiers rangs» pour les plus nantis.
Beaucoup d’expatriés veulent aussi découvrir les dernières adresses à la mode dans tout le pays. «Batroun, Faraya, boutique-hôtel à 250-300 dollars la nuitée… » sans oublier qu’avec la demande croissante, les prix ont explosé.
Pour Patricia, le constat est simple: «Suivre ce rythme durant 10 jours, c’est l’équivalent d’un séjour tout compris en Europe.»
Un souffle économique bienvenu
Malgré ces difficultés, le retour des expatriés a des effets bénéfiques. Il redonne du baume au cœur à une population fragilisée et apporte un coup de pouce à une économie exsangue.
«Beaucoup d’expats aident leur famille à tenir, en envoyant de l’argent ou en prenant en charge certaines dépenses», soulignent les personnes interrogées. Sans oublier que de nombreux Libanais ont été «forcés à l’exil» pour toutes les raisons évoquées. Et surtout que leur vie à l’étranger n’est pas des plus faciles, non plus.
À en croire les personnes interrogées, l’attente était grande. Toutes ont compté les jours avant de revoir leurs proches fouler à nouveau le sol libanais, celui de leur terre natale, qui leur manque tant, et auquel ils ont tant manqué.
Alors si le retour des expatriés insuffle, cet été, comme à chaque fois qu’ils viennent, une dose plus que bienvenue de joie, de souvenirs et de devises fraîches, il met aussi en lumière les fractures économiques d’un pays où la générosité et le désir de bien accueillir l’emportent souvent sur la réalité économique. En attendant un avenir plus stable, les habitants, eux, jonglent entre retrouvailles chaleureuses et équilibres financiers précaires.
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