
Chaque été, les villages grecs vivent au rythme des panigiria, fêtes traditionnelles où musique, danse et convivialité rassemblent toutes les générations. À Ikaria, ces célébrations ancrées dans l’histoire deviennent aussi un sujet de débat face à l'afflux touristique.
Sur le parvis de l’église du Prophète Élie, une centaine de danseurs forment une ronde joyeuse en se tenant les épaules au son des musiques et chants traditionnels grecs.
Il est minuit sur l’île d’Ikaria et locaux et vacanciers participent à un panigiri, une tradition, très ancrée en Grèce, de célébration, de partage et de danse qui s’étire le plus souvent jusqu’à l’aurore.
Ces fêtes patronales, qui rythment l’été dans tous les villages du pays méditerranéen, rencontrent un immense succès et attirent les touristes au point que certains s’inquiètent de leurs dérives commerciales.
«Des gens de tous les âges dansent ensemble en cercle et l’énergie qui émerge (de ce collectif) est fabuleuse», s’enthousiasme Katerina Gerner qui vit la moitié de l’année sur cette île de la mer Égée orientale.
Transe
«C’est comme entrer en transe par la musique, la danse, entouré de gens heureux», ajoute cette Allemande organisatrice de retraites de yoga.
Chacun peut s’intégrer à sa guise dans les danses en prenant la main ou l’épaule de ses voisins. La musique, jouée avec des instruments traditionnels comme le laouto (luth grec), accélère progressivement.
Pour les pas, les novices optent pour une version simplifiée du ikariotikos, la danse ancestrale de cette île de près de 9 000 habitants connue pour l’exceptionnelle longévité de ses habitants et son mode de vie jugé peu stressant.
«C’est important pour la communauté d’un village de se retrouver tous ensemble», assure l’un des organisateurs de la soirée, Kostas Politis, lors d’une pause dans l’élaboration des repas vendus lors de la fête.
Dans les villages d’Ikaria, les fêtes votives se succèdent tout l’été jusqu’à la mi-septembre.
La même tradition est respectée sur toutes les îles grecques et sur le continent. On y mange du chevreau grillé ou de l’agneau rôti et on y boit de la retsina.
Chaque panigiri est rattaché au saint patron du village, comme celle du Prophète Élie le 20 juillet.
Le 15 août pour l’Assomption, une fête importante du calendrier orthodoxe, c’est toute la Grèce qui danse autour des églises.
Les panigiria (le pluriel en grec de panigiri) «rassemblent toute la communauté», explique à l’AFP Panagiota Andrianopoulou, ethnologue du Musée de la culture grecque moderne d’Athènes.
Les plus anciens témoignages écrits de ces fêtes remontent aux premières années de l’indépendance grecque en 1821.
«On a tendance à les associer à l’amusement mais en fait par le passé, elles avaient une fonction économique, sociale et symbolique» dans les villages, poursuit la chercheuse qui a étudié ces phénomènes sociaux tout particulièrement dans le nord de la Grèce.
L’été était propice aux échanges commerciaux. «On y achetait des animaux, des tissus, on échangeait produits laitiers et fruits secs par exemple», souligne encore Mme Andrianopoulou.
«C’est aussi le moment où les valeurs locales se consolident comme l’hospitalité, l’ouverture et l’acceptation de l’autre», insiste-t-elle.
Chacun, habitant ou voyageur de passage, est bienvenu à ces fêtes patronales.
Ikaria, bastion rouge en Grèce où le Parti communiste a enregistré plus de 35 % des voix aux élections législatives de 2023, a été l’une des premières îles à ouvrir ces fêtes à tout le monde.
Trois jours de fête
«On a de grandes tablées(…) on boit, on danse, c’est une ambiance très conviviale et gaie où tout le monde se parle», se réjouit la Française Martine Bultot, ancienne médecin généraliste qui vient depuis 35 ans à Ikaria.
«Avant, ces fêtes duraient trois jours, du vendredi au dimanche», souligne aussi Theodoris Georgiou, un ingénieur retraité originaire du Pirée, le port d’Athènes, avant de rejoindre la colonne de danseurs.
«Aujourd’hui c’est un peu plus commercial. C’est lié au développement du tourisme», selon lui.
Certains s’émeuvent de ces panigiria si «instagrammables»: on y prend des photos et des vidéos qu’on poste sur les réseaux sociaux.
Une jeune Gréco-Belge, qui fait de l’auto-stop après la fête, fulmine. «Je ne reviendrai plus à Ikaria,rien n’est plus respecté dans ces traditions que les touristes s’approprient et détruisent», estime la jeune femme sans donner son nom.
Et de s’en prendre aux journalistes qui participent, selon elle, à cette mode avec leurs reportages qui attireront encore plus de monde. Un autre vacancier, Vagelis Melos, se veut plus philosophe en enchaînant ses pas de danse. «Quand les gens changent, les panigiria changent», sourit-il.
Avec AFP
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