La Turquie, une puissance médiatrice au rayonnement international
Le président turc Recep Tayyip Erdogan et le président américain Donald Trump posent avec le roi Willem-Alexander des Pays-Bas pour une photo de famille des dirigeants des pays de l'Otan, alors qu'ils assistent à un dîner social au palais royal «Huis ten Bosch» lors d'un sommet des chefs d'État et de gouvernement de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (Otan) à La Haye, le 24 juin 2025. ©Haiyun Jiang/POOL/AFP

De l’Ukraine à la Syrie en passant par l’Iran, la Turquie a su s’imposer ces dernières années comme un acteur diplomatique incontournable, en multipliant les initiatives de médiation. Une véritable diplomatie sur tous les fronts qui sert à la fois à préserver sa sécurité nationale, mais également à consolider sa place de premier plan sur la scène internationale.

Pour cela, elle bénéficie d’une géographie stratégique, à cheval entre l’Europe et le Moyen-Orient, véritable pont au cœur du bassin méditerranéen. Son contrôle des détroits du Bosphore et des Dardanelles lui permet en outre de gérer le flux du trafic maritime entre la mer Noire et la mer Méditerranée.

Ancienne puissance dominante au niveau mondial grâce à l’Empire ottoman, la Turquie a eu à cœur, après son démantèlement, de recouvrer une puissance importante, apte à peser sur la scène internationale. Une volonté particulièrement visible depuis la présidence de Recep Tayyip Erdogan, au pouvoir depuis 2014.

Médiatrice incontournable pour l’Ukraine

Dès le début de la guerre entre l’Ukraine et la Russie, Ankara a su préserver ses liens avec les deux acteurs, évitant contrairement aux Européens une polarisation extrême du conflit. Cette position unique a fait d’elle une candidate de choix pour animer les premiers cycles de négociations en mars 2022.

Bien qu’elle soit membre de l’Otan, la Turquie a toujours maintenu le dialogue avec la Russie dont elle dépend économiquement notamment pour le gaz. Elle a également refusé d’imposer des sanctions contre Moscou, tout en dénonçant l’agression russe contre l’Ukraine. Une position mesurée qui fait d’elle un partenaire de confiance pour la Russie.

Côté ukrainien, elle a maintenu une relation forte avec le président Zelensky, et a joué un rôle clef dans l’accord sur l’exportation des céréales ukrainiennes par la mer Noire en juillet 2022. Cet accord, majeur pour la sécurité alimentaire mondiale, a montré l’efficacité de la Turquie dans les négociations. Autre succès diplomatique, les négociations pour les échanges de prisonniers entre la Russie et l’Ukraine, qui se sont révélées concluantes. À côté, elle fournit à l’Ukraine certains équipements militaires, notamment des drones Bayraktar TB2.

Cette position d’équilibriste tranche avec la réticence des Européens à maintenir un dialogue direct avec la Russie, et Istanbul s’impose donc comme lieu privilégié pour des rencontres entre les deux parties. En témoigne la troisième session d'échanges directs à Istanbul prévue ce mercredi, sous la houlette du chef de la diplomatie turque, Hakan Fidan et en présence du chef des renseignements turcs, Ibrahim Kalin. Deux cycles de pourparlers s’étaient tenus également à Istanbul en mai et en juin, et avaient débouché sur des accords d’échanges de prisonniers et de corps de soldats tués.

En Syrie, une puissance médiatrice et actrice du conflit

En Syrie, la Turquie s’est imposée à la fois comme puissance militaire qui a mené sa propre stratégie pour repousser les forces kurdes de ses frontières, mais également comme une puissance de soutien pour l’opposition syrienne. Cependant, elle a également joué un rôle prépondérant avec la Russie dans la médiation entre l’opposition et les forces loyalistes à Bachar el-Assad, aboutissant à un cessez-le-feu en mars 2020.

De plus, elle a su créer une relation privilégiée avec le groupe Hay’at Tahrir el-Cham et son leader Abou Mohammed al-Joulani, devenu par la suite président de transition de la Syrie. Cette relation lui a permis d’accroître son influence politique et militaire en Syrie, l’imposant comme interlocutrice incontournable pour toutes discussions internationales sur le pays. Après avoir fortement insisté sur la levée des sanctions, elle est intervenue dans les négociations internationales concernant la transition du pays. En témoigne notamment l’accord de cessez-le-feu entre la Syrie et Israël, grâce à l’intervention des États-Unis, de la Turquie et de pays arabes.

Ainsi, en Syrie, l’objectif du gouvernement turc est double: d’une part empêcher l’autonomie des Kurdes à sa frontière, et garantir une certaine stabilité dans le pays, permettant de favoriser le retour des réfugiés syriens de Turquie et le maintien d’une influence turque sur le pays.

Une diplomatie discrète, mais présente pour le nucléaire iranien

Dans le dossier sur le nucléaire iranien, la Turquie tente depuis plusieurs années de désamorcer les tensions avec les États-Unis. En effet, malgré des désaccords régionaux avec son voisin, notamment en Syrie, elle souhaite continuer le dialogue avec Téhéran et s’oppose aux sanctions occidentales.

Même si l’Iran et la Turquie sont des puissances régionales parfois concurrentes au Moyen-Orient, elles ont également des intérêts en commun, et notamment la gestion de la minorité kurde, présente à cheval sur leur territoire. De plus, les deux pays sont reliés par des liens économiques importants: l’Iran fournit du gaz naturel à la Turquie, et bénéficie des entreprises turques dans des domaines comme le textile, l’agroalimentaire et la construction. Une instabilité politique en Iran entraînerait ainsi des répercussions sur son voisin. Un scénario que la Turquie cherche à éviter, soucieuse de préserver la stabilité à ses frontières.

Dans ce cadre, elle accueillera vendredi à Istanbul les pourparlers prévus entre l’Iran et la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne. Erdogan avait appelé, le samedi 21 juin, lors d’une session de l’Organisation de la coopération islamique (OCI), à la reprise des discussions entre les États-Unis et l’Iran sur le nucléaire, en se positionnant comme médiateur. «Notre région ne peut pas se permettre une nouvelle guerre», a-t-il affirmé, soulignant que «ce dont nous avons besoin, c’est de bon sens et de prudence. Je répète que la solution passe par la diplomatie et le dialogue, et que nous sommes prêts à prendre nos responsabilités, y compris à jouer un rôle de facilitateur».

La diplomatie turque a été particulièrement active dès les prémices du conflit, notamment lors de la frappe israélienne contre le consulat iranien à Damas. Ankara avait alors servi d’intermédiaire entre l’Iran et les États-Unis pour «contrôler» la riposte iranienne.

Au-delà de ces trois exemples, la Turquie tente d’être présente sur plusieurs autres fronts, comme en Libye, au Soudan et en Palestine. Ces efforts diplomatiques témoignent d’une ambition claire: positionner la Turquie comme une puissance régionale et internationale incontournable, mais également indépendante des blocs internationaux traditionnels. Elle souhaite ainsi incarner un pont relativement neutre entre les parties des différents conflits, tout en préservant ses intérêts stratégiques.

 

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