
Cet épisode de l’histoire de l’Europe à la veille de la Seconde Guerre mondiale est connu de tous – ou presque. Il est souvent cité comme un cas d’école illustrant l’inopportunité d’une attitude conciliante à l’égard d’un adversaire qui s’est placé, d’emblée, dans un état d’esprit belliqueux irrémédiable, quelles que soient les concessions que l’on pourrait lui accorder. On l’aura compris: l’allusion au tristement célèbre accord de Munich de septembre 1938 est claire. Dans le but d’«amadouer» Hitler et d’éviter au Vieux Continent un nouveau conflit mondial, le Premier ministre britannique Neville Chamberlain et le président du Conseil français Édouard Daladier signaient le 30 septembre 1938 avec Hitler un accord au terme duquel la Tchécoslovaquie cédait à l’Allemagne nazie une portion de son territoire – les Sudètes – revendiquée par Hitler.
Cet accord fut vivement stigmatisé par Winston Churchill, qui lança, le 5 octobre 1938, à l’adresse de Chamberlain, sa fameuse petite phrase, passée dans l’Histoire: «Vous aviez le choix entre la guerre et le déshonneur; vous avez choisi le déshonneur, mais vous aurez quand même la guerre».
L’on serait tenté d’établir un parallèle entre cet épisode et l’attitude particulièrement conciliante adoptée par le pouvoir libanais dans la crise actuelle provoquée par le Hezbollah. Non pas que le président, Joseph Aoun, et le Premier ministre, Nawaf Salam, aient opté pour le déshonneur… Loin de là. Dans leurs déclarations publiques, ils réitèrent, sans équivoque, leur position de principe portant sur le caractère impératif de la remise des armes du parti pro-iranien à l'État et la nécessité non moins impérative que la décision de guerre et de paix soit du seul ressort du Conseil des ministres.
Le problème aujourd’hui réside dans la voie que semble suivre le régime pour concrétiser dans les faits sa position de principe. Il s’emploie à donner la perception qu’il a optée pour le «dialogue» avec le Hezbollah, pour une politique d’«apaisement» (celle-là même choisie par Chamberlain et Daladier), dans le but d’éviter un conflit avec la milice chiite… Sauf que cette complaisance ne fait que reporter et aggraver le problème, car elle est interprétée par le parti pro-iranien comme un signe de faiblesse qui lui offre l’opportunité en or de durcir de plus en plus ses positions et de brandir – manœuvre très classique de sa part – le spectre d’une guerre civile si le régime ne se soumet pas à son diktat.
La politique d’«apaisement» a aussi, et surtout, pour effet d’occulter le fait, indéniable, qu’un «dialogue» avec le Hezbollah sur le sort de son arsenal militaire n’est que pure chimère et ne constitue qu’une perte de temps sèche pour le pouvoir. Ce prétendu dialogue se poursuit depuis… 2006, sans résultat. Il est difficile d’ailleurs qu’il en soit autrement lorsque la décision de la remise ou non de l’arsenal hezbollahi à l’État relève directement, et exclusivement, du Guide suprême de la République islamique, Ali Khamenei. En effet, les décisions d’ordre stratégique de celui-ci, (notamment celles qui concernent… le Liban) sont dictées par la raison d’État iranienne et par les considérations géopolitiques propres au régime des mollahs. Toute concession, toute complaisance envers le suppôt libanais des Pasdaran aurait, par voie de conséquence, pour seul résultat d’accroître la radicalisation de la milice chiite et d’engloutir de plus en plus l'État central dans un laxisme dévastateur.
S’il faut s’en remettre au bon vouloir du Hezbollah, force est alors de reconnaître que la clé de la solution se trouve à Téhéran… Mais pour qu’elle soit réellement fonctionnelle, pour qu’elle puisse avoir l’impact requis sur l’échiquier libanais, il faudrait régler au préalable, de manière radicale et définitive, le problème posé depuis plus de quatre décennies par la stratégie guerrière et déstabilisatrice – un véritable Anschluss à la sauce levantine – pratiquée par le régime des mollahs dans plusieurs pays du Moyen-Orient. Cela impliquerait que les décideurs régionaux et internationaux tranchent dans le vif en s’attaquant une fois pour toutes, d’une façon ou d’une autre, à la source du mal.
Attendre que LA solution finale vienne de l’extérieur, à un timing incertain, reviendrait à saper le crédit dont a bénéficié le régime dès ses premiers jours et à condamner les Libanais à demeurer, une fois de plus, otages du jeu régional, avec comme effet inéluctable l’érosion continue, à un rythme exponentiel, de l’autorité de l'État central au profit du mini-État milicien.
Si le régime désire réellement concrétiser dans les faits les positions de principe souverainistes définies dans le discours d’investiture du président et dans la déclaration ministérielle, il ne peut attendre que le Hezbollah veuille bien coopérer. Il se doit de faire preuve d’autorité, de prendre les devants, d’imposer son propre agenda, à son propre rythme, au parti pro-iranien. Il bénéficie à cet égard d’un fort soutien de la communauté internationale, États-Unis et Union européenne en tête, des pays du Golfe, et plus particulièrement de l’appui sans réserve de non moins de quatre-vingt pour cent des Libanais, résidents et expatriés.
C’est au Hezbollah de s’adapter aux desiderata de l’État central, et non le contraire. Toute autre option ne serait que de la poudre aux yeux, ouvrant la voie à toutes sortes de rumeurs et de spéculations sur les véritables intentions du régime en place…
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