Reza Pahlavi ou l’Histoire à contre-courant (2/3)
©Ici Beyrouth

À la faveur des événements récents, le fils du dernier Shah d’Iran a lancé un appel au soulèvement contre le régime de Téhéran. Il se dit prêt à faciliter une transition démocratique afin de réinstaurer une monarchie constitutionnelle en Iran. Mais connaît-on bien les ressorts intimes d’un prince qui s’est proclamé héritier légitime de la dynastie Pahlavi à l’âge de vingt ans?  Le journaliste Alain Rodier, qui a souvent rencontré Reza Pahlavi et lui a consacré un livre, nous dresse ici un portrait du prince dont la démarche est tout autant approuvée que controversée.

Déçu par ce qu’il croit être de la faiblesse de la part du prince, Aryana veut alors agir pour son compte. Avec l’aide de jeunes officiers, il s’offre un coup de pub en piratant la Tabarzine, l’une des trois vedettes vendues par la France à Téhéran. Le périple tient les médias en haleine. Reza prend l’affaire très au sérieux. Lorsque laTabarzine fait escale à Casablanca comme offrande à l’héritier du trône, il se rend auprès de Hassan II et lui dit: «Majesté, ce qu’ont fait nos partisans est un acte de piraterie. Ils ont agi contre les lois internationales. Bien qu’il s’agisse d’une action menée par des monarchistes, faites ce que bon vous semble.» Soulagé, le roi du Maroc renvoie au large la vedette qui sera finalement arraisonnée par la Marine française à proximité de Toulon. Ainsi, le jeune homme a déjà l’intuition qu’on ne transige pas avec la légalité. Il dit toujours «qu’il faut se garder de ceux qui sont plus royalistes que le Roi»!

Commence alors une période de tâtonnements. Reza peine à mobiliser et à unir les mouvements d’opposition qui se chamaillent. Période inconfortable propice à toutes les interrogations sur le bien-fondé du pari lancé trois ans plus tôt. Mais la volonté de Reza Pahlavi ne fléchit pas. Pas question de reculade. En avril 1983, il adresse un long message pour définir le contenu politique de sa prise de succession, une sorte de contrat d’alliance avec le peuple d’Iran: «J’étudie en permanence les façons de vous libérer. Il est important de poursuivre nos efforts dans ce sens sans intervention étrangère, afin de nous diriger sur la voie de l’indépendance et de la souveraineté nationale… Il faut nous libérer des violations de la vie, de la religion, de la pensée. Je n’en appelle pas à la vengeance, mais à la restauration de la loi et de la justice. Même si je suis encore jeune, la destinée m’a mis sur le chemin d’événements dont j’ai tiré les enseignements… La décision d’assumer mon héritage vous sera laissée en accord avec l’article 35 de la Constitution de 1906 qui stipule que la couronne est un dépôt confié avec la grâce de Dieu à la personne du monarque.»

Développé dans un Livre bleu, ce message rencontrera un certain écho dans la diaspora. Non seulement on assiste à l’ébauche d’un courant monarchiste, mais des messages parviennent aussi de l’intérieur de l’Iran: «Mes conseillers ont des contacts avec les forces armées. C’est très important, car l’armée a toujours suivi la volonté du peuple, même quand il s’est agi de renverser mon père. Je sais que nous pouvons compter aussi sur la gendarmerie et la police. Même des Gardiens de la révolution m’adressent des messages… L’un d’eux m’a écrit: “Si vous prenez le pouvoir, ne nous tuez pas! Comprenez que nous sommes obligés de collaborer avec ce régime.” Et je vais vous surprendre, j’ai même des contacts avec des proches de Khomeini!» Paradoxe persan.

Au cours de ses multiples déplacements, Reza constate une évolution dans l’état d’esprit de ses auditeurs: «À Washington, il y avait trois jeunes sympathisants de l’organisation des Moudjahidin du peuple dans la salle. Un événement! Ils étaient venus voir le “monstre” dont parlait leur chef, Massoud Radjavi. Ils croyaient que j’arriverais entouré de 50 gardes du corps armés jusqu’aux dents et que je pousserais des hurlements dans un micro en tapant frénétiquement du poing sur la table. Ils ont été étonnés de me voir si calme, avec seulement deux personnes avec moi, tout à fait pacifiques…» La présence de ces trois jeunes Iraniens était encourageante. Mais Reza n’oubliait pas que les Moudjahidin avaient été les ennemis acharnés de son père: «Pourquoi les exclure? Encore une fois, s’ils acceptent les règles de la démocratie, ils auront leur place en Iran. Toutefois, je suis en désaccord total avec Radjavi. Ses liens avec l’Irak sont évidents, ce n’est pas un nationaliste. Ses militants ont assassiné beaucoup de gens en Iran à l’époque de mon père. Je trouve inacceptable leur slogan “ni Shah, ni Khomeini”, slogan qui signifie: seulement nous et notre leader!… Ce n’est pas très démocratique!»

Fin juillet, deux figures du monde politique iranien, Ali Amini et Chapour Bakhtiar, tous deux anciens Premiers ministres de sensibilité laïque et centriste, présentent un programme stipulant «le rejet de la République islamique, le soutien à Reza II en tant que monarque constitutionnel, conformément à la Constitution de 1906, la séparation de la religion et de l’État». Lorsque la nouvelle est connue, quelques centaines d’Iraniens sortent dans les rues le 5 août, date anniversaire de la Constitution, pour marcher en silence en échangeant des signes complices. 

L’événement aura peu de résonance, mais il ne laissera pas indifférent Khomeini qui, dans une déclaration à Radio Téhéran, conseille au jeune Reza II «de se consacrer à ses études au lieu de gaspiller son argent pour tenter de renverser la République islamique»! Ce à quoi Reza rétorquera illico: «Il y a quelques jours, le peuple de l’Iran s’est manifesté sans avoir peur de vous ni de vos assassins. Tout le monde nous dit que vous avez mis le pays en grand danger. Vous avez brisé sa prospérité et sa joie de vivre. Un grand nombre de vos condisciples religieux estiment que vous déshonorez l’islam. Vous me renvoyez à mes études. Précisément, je suis en train d’étudier de quelle façon libérer mon pays. Si je dépense mon argent et engage ma vie, c’est pour la liberté de ma chère patrie.»

Depuis sa proclamation du Caire d’octobre 1980, on n’avait guère vu le prince héritier dans les gazettes. Pour ma part, jusqu’à ce message d’avril 1983 et l’événement du 5 août, je n’avais pas prêté attention à celui qui n’était pour moi que le fils du Shah et de Farah Diba, tout au plus un sujet pour Jours de France. Mais, en dépit de l’opinion répandue qui ne voyait en lui qu’un doux rêveur discrédité d’avance par l’Histoire, il était impossible d’ignorer ce jeune homme qui osait lancer un défi aussi paradoxal que la reconquête du trône des Pahlavi.

 

 1Après avoir été chassés d’Iran par Khomeini en 1980, les Moudjahidin s’étaient réfugiés en Irak pour y équiper une armée. Ils y étaient demeurés pendant la guerre Irak-Iran (1980-1988). L’état-major politique de l’organisation est toujours installé à Auvers-sur-Oise. 

Commentaires
  • Aucun commentaire