Déclinant, le président du Soudan du Sud prépare sa délicate succession
Le président du Soudan du Sud, Salva Kiir, le chef de l'opposition du Soudan du Sud, Riek Machar, et Mohamed Hamdan Daglo «Hemeti», chef adjoint du Conseil militaire de transition du Soudan, se tiennent la main alors qu'ils s'adressent aux médias après leur entretien de paix à la State House à Juba, au Soudan du Sud, le 17 décembre 2019. ©Majak Kuany and Majak Kuany / AFP

La santé précaire du président du Soudan du Sud et son intention de préparer sa délicate succession expliquent les récentes secousses dans ce pays instable d'Afrique de l'Est, selon des experts qui estiment ces dernières planifiées par le pouvoir.

Salva Kiir est rentré mercredi de dix jours de voyage aux Émirats arabes unis pour «renforcer les relations bilatérales», selon les médias officiels, mais pour examens médicaux selon son entourage.

Le plus jeune pays du monde, en proie à une instabilité chronique, a connu depuis janvier une montée des tensions, près de sept ans après la fin d'une guerre civile qui avait fait quelque 400 000 morts entre 2013 et 2018.

Deux hommes s'affrontaient alors pour le pouvoir: Salva Kiir et Riek Machar, le premier ayant été bombardé chef de l'État et son rival vice-président au terme d'un accord de paix.

Mais en début d'année, des affrontements se sont tenus dans le Nord entre l'armée sud-soudanaise et une milice que le pouvoir de M. Kiir estime proche de M. Machar. Celui-ci a été arrêté en mars et assigné à résidence. Ses troupes ont été bombardées aux alentours de la capitale Juba. Des combats ont aussi eu lieu plus au sud.

Au milieu de cette violence, un homme a connu une ascension fulgurante. Benjamin Bol Mel, homme d'affaires connu pour être l'argentier du régime, a d'abord été nommé deuxième vice-président sud-soudanais, puis numéro 2 du parti présidentiel, derrière Salva Kiir.

Une promotion éclair inscrite dans un «plan de succession» échafaudé depuis des mois, estiment plusieurs analystes et un diplomate occidental interrogés par l'AFP.

«Plan de succession» 

Car Salva Kiir a une santé précaire. Lors de la venue début avril à Juba du président ougandais Yoweri Museveni, dont l'armée est présente au Soudan du Sud en soutien du régime, le contraste physique entre les deux hommes est apparu saisissant: alors que M. Museveni, 80 ans, gambadait lestement, M. Kiir, du haut de ses 73 printemps, marchait à tout petits pas, canne à la main, à ses côtés.

Mi-mai, la diplomatie sud-soudanaise s'est même fendue d'un communiqué pour affirmer que le chef de l'État était bien «vivant», après des rumeurs contraires sur les réseaux sociaux.

Mais le sujet reste une «ligne rouge», estime un militant de la société civile sud-soudanaise et fin connaisseur de la politique locale, qui requiert l'anonymat par sécurité. «Si vous voulez vous retrouver rapidement dans la tombe, parlez-en», assure-t-il.

Salva Kiir s'est ainsi rendu le 22 juin aux Émirats arabes unis. Puis il a disparu des radars. D'après plusieurs membres de son entourage, interrogés par l'AFP, il y suivait des examens médicaux. Il est rentré mercredi à Juba.

Durant son absence, Benjamin Bol Bel, bien qu'ayant été sanctionné par les États-Unis en 2017 pour corruption, a présidé un conseil de gouvernement, indication de son rôle prépondérant.

Wani Michael, un ex-leader de la jeunesse sud-soudanaise, désormais en exil, y voit «un script écrit il y a longtemps, mis en place par phases».

«Ils se sont débarrassés de Riek Machar pour ouvrir le chemin à Benjamin Bol Mel», comme le pouvoir avait déjà évincé fin 2024 Akol Koor, le puissant chef des renseignements, explique-t-il.

M. Bol Mel «a pris le contrôle de l'appareil d'État sécuritaire et financier depuis novembre-décembre dernier», puis il est devenu officiellement «dauphin» en étant propulsé à la tête du parti, confirme un diplomate à Juba.

«Légitimité» 

Malgré la montée des violences dans le pays, ces manœuvres n'ont pas plongé le pays, déjà extrêmement pauvre et instable, dans le chaos que beaucoup craignaient. L'ONU estime qu'environ 900 personnes sont mortes entre janvier et mi-avril.

«C'est dramatique sur le plan humain, mais c'est sans aucune mesure par rapport aux massacres colossaux d'il y a quelques années, quand des milliers de personnes mouraient chaque mois», juge le diplomate, pour qui le régime «parvient relativement bien à mettre au pas les différentes rébellions».

Mais le succès n'est pas pour autant garanti pour Benjamin Bol Mel, estime l'analyste politique sud-soudanais James Boboya. Car avec les soubresauts l'agitant, «le gouvernement sud-soudanais n'a pas gagné en légitimité, ni au niveau domestique, ni internationalement», souligne-t-il.

Beaucoup craignent le pire si Salva Kiir venait à décéder, malgré l'intronisation de son dauphin. Les experts espèrent que le président choisira d'annoncer rapidement des élections libres, afin d'éviter un nouveau bain de sang.

«Les élections sont la seule manière viable d'assurer un transfert de pouvoir pacifique», assure Edmund Yakani, le président de l'Organisation pour l'Autonomisation Communautaire et le Progrès (CEPO), une ONG sud-soudanaise.

«C'est à la puissance de nos votes de décider du futur (du pays), affirme-t-il. Ce n'est pas aux armes, ni aux dirigeants de nous l'imposer.»

Par Joris FIORITI/AFP

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