
Les autorités arméniennes ont arrêté mercredi un ecclésiastique accusé de tentative de coup d'État, un motif dénoncé par son avocat comme étant politique, en pleine tension entre la principale Église de ce pays du Caucase et le Premier ministre, Nikol Pachinian.
Selon le Comité d'enquête arménien, l'archevêque Bagrat Galstanian, membre de l'Église apostolique arménienne, est impliqué dans cette tentative présumée de renversement du pouvoir.
L'an dernier, cet opposant, leader du mouvement Srbazan Paykar («Lutte Sacrée»), avait pris la tête des manifestations reprochant au Premier ministre d'avoir cédé des territoires à l'Azerbaïdjan voisin.
«Les agents des forces de l'ordre ont déjoué un sinistre plan à grande échelle du clergé criminel oligarchique pour déstabiliser la République d'Arménie et prendre le pouvoir», a écrit sur Telegram Nikol Pachinian.
«Depuis novembre 2024», souligne le comité d'enquête, Bagrat Galstanian «s'est donné pour objectif de changer le pouvoir par des moyens qui ne sont pas permis par la Constitution de la République d'Arménie».
L'ecclésiastique a été arrêté, son avocat, Ruben Melikyan, dénonçant devant la presse des persécutions politiques et affirmant que les éléments de l'affaire n'avaient pas de lien avec l'Église apostolique.
Nikol est un traître
Le comité d'enquête a indiqué avoir mené des dizaines de perquisitions dans cette enquête liée au mouvement de M. Galstanian, arrêté 14 personnes et lancé des poursuites judiciaires contre 16 suspects.
Publiant mercredi des photos d'armes et de munitions, les enquêteurs soupçonnent Bagrat Galstanian d'avoir «acquis les moyens et outils nécessaires pour mener des actes terroristes et prendre le pouvoir».
Des enregistrements, non authentifiés par l'AFP, ont également été partagés par le comité, laissant penser que l'archevêque et ses alliés avaient notamment appelé à tuer des responsables et emprisonner des opposants.
«Soit on tue, soit on meurt», dit un homme, dont la voix ressemble à celle de l'archevêque.
Les avocats de M. Galstanian ont expliqué s'attendre à une inculpation pour «terrorisme avec tentative de prise de pouvoir».
Des images publiées par le média News.am montrent le religieux quitter sa maison, encadré d'agents masqués.
«Démon, écoute attentivement, quoi que tu fasses, tu n'as plus beaucoup de temps. Attends, nous arrivons», a déclaré Bagrat Galstanian, s'adressant, visiblement, à Nikol Pachinian. En face, des soutiens scandaient: «Nikol est un traître.»
Le député Garnik Danielian, proche associé de l'archevêque, a dénoncé des actions dignes, selon lui, d'un «régime dictatorial» et rejeté les accusations visant l'ecclésiastique.
Vendredi, des membres de l'opposition, issus du parti nationaliste Dashnaktsutyun et du mouvement de Bagrat Galstanian, avaient été arrêtés, selon des groupes de défense des droits humains et des partis d'opposition, au moment où Nikol Pachinian entamait une rare visite en Turquie, ennemi historique de l'Arménie.
Pays divisé
À partir de la dislocation de l'URSS, l'Arménie a combattu à plusieurs reprises l'armée azerbaïdjanaise pour le contrôle du Karabakh, une région d'Azerbaïdjan qui était alors peuplée en majorité d'Arméniens.
Bakou a finalement repris le plein contrôle de cette zone en septembre 2023, lors d'une offensive victorieuse contre les séparatistes arméniens du Karabakh, entraînant la fuite de dizaines de milliers d'Arméniens vivant dans cette enclave.
Cette défaite militaire a provoqué des divisions dans le pays.
En juin 2024, l'archevêque Bagrat Galstanian avait mené des manifestations en réaction à la cession de plusieurs villages frontaliers à l'Azerbaïdjan, une mesure défendue par M. Pachinian comme un moyen d'éviter une nouvelle guerre avec Bakou.
M. Galstanian, qui appelait à la démission de Nikol Pachinian, s'était même mis temporairement en retrait de ses fonctions religieuses, pour concourir au poste de Premier ministre. Mais, selon la loi arménienne, sa double nationalité arménienne-canadienne ne lui permettait pas d'occuper une telle fonction.
Dans ce contexte, les relations entre Nikol Pachinian et la puissante hiérarchie ecclésiastique se sont fortement détériorées.
Début juin, le Premier ministre a appelé les fidèles de l'Église apostolique, très influente en Arménie, à renverser son chef, Garéguine II, qui l'a critiqué à plusieurs reprises sur sa gestion de la crise du Karabakh.
M. Pachinian a même affirmé que Garéguine II avait un enfant, provoquant l'ire de l'opposition qui exigeait l'excommunication du Premier ministre.
Ancien journaliste et élu d'opposition, Nikol Pachinian est arrivé au pouvoir en 2018, à la suite de manifestations dont il avait pris la tête.
Par Mariam HARUTYUNYAN/AFP
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