
Un attentat suicide, cette fois dans une église de Damas, pendant la messe dominicale. 25 morts. Le souffle de l’explosion a tué la prière, brisé des vies et ébranlé une communauté déjà vacillante.
L’Orient chrétien est en train de mourir, non pas dans le fracas d’une bataille frontale, mais dans une longue agonie silencieuse, dans l’indifférence du monde. Dans l’Europe déchristianisée où les églises sont transformées en restaurants ou en boutique-hôtels, ceux qui se soucient des chrétiens d’Orient reçoivent immédiatement l’étiquette «fachos». La mode est au soutien des «minorités visibles» dont les voix désormais pèsent dans les élections. Alors, à côté d’un mandat d’élu, que pèsent les chrétiens d’Orient? Pas grand-chose, manifestement.
L’Occident regarde ailleurs, distrait, et ne défend même plus ceux qui portent son propre héritage. Le monde arabe, lui, n’a jamais su faire de ses minorités une richesse durable. Et les puissants de cette région, comme d’ailleurs, s’accommodent fort bien du vide.
Au début du 20ᵉ siècle, les chrétiens représentaient 10% de la population du Proche-Orient (Liban, Syrie, Irak, Jordanie, Israël et les territoires palestiniens). Aujourd’hui, ils ne sont plus que 2,5 millions sur 105 millions d’habitants. 2,3% de la population. Après l’Irak, voici venue la saignée syrienne. Et après la Syrie, quoi? Le Liban?
Depuis deux décennies, la chute est vertigineuse. Selon une étude du Pew Research Center du 9 juin 2025, en Irak, ils étaient environ 1,5 million en 2003, avant la guerre. Ils sont à peine 150 à 200.000 aujourd’hui. Un effondrement de 90% en une génération. Exilés, tués, terrorisés. Certains villages de la plaine de Ninive n’ont jamais été reconstruits. D’autres ont vu les derniers fidèles partir. Ce sont des lieux où le silence a remplacé les chants et les prières. La Syrie suit le même scénario du même cauchemar. Avant 2011, les chrétiens syriens étaient estimés à 1,5 million. Ils ne seraient plus que 300.000 aujourd’hui. Dans les quartiers autrefois majoritairement chrétiens d’Alep, Homs ou Damas, les cloches ne sonnent plus, ou alors pour les morts.
Il ne s’agit pas seulement d’une crise religieuse. Il s’agit de la disparition d’un pan entier de la mémoire de l’humanité. Les chrétiens d’Orient sont les témoins directs et les gardiens vivants du christianisme originel. Leur fin n’est pas une simple affaire communautaire ou confessionnelle: c’est l’effacement d’un patrimoine universel. Les monastères syriens, les villages assyriens, les liturgies maronites sont des trésors vivants. À Mossoul, à Damas, les fidèles priaient dans des églises bien plus anciennes que les cathédrales d’Europe. À Maaloula, en Syrie, on parlait encore l’araméen, la langue du Christ. À Qaraqosh, à Bartella, à Sadad, ces communautés ont résisté à tout: invasions, persécutions, mongols, guerres. Mais pas à notre époque. Pas à l’indifférence. Pas à la haine méthodique et ciblée.
Et pendant ce temps, au Liban, dernier îlot chrétien à l’échelle régionale, on s’obstine à croire qu’on est à l’abri. Comme si la géographie pouvait protéger une communauté de l’usure du temps et de l’exil programmé. Le pays comptait encore 55% de chrétiens en 1932, lors du dernier recensement officiel. Ils ne seraient aujourd’hui que 35%, avec un taux de natalité plus bas et une émigration massive. Et cela sans compter la présence de 2,5 millions de déplacés syriens en immense majorité musulmans.
Ce qui se joue sous nos yeux, c’est l’effacement des racines vivantes du christianisme. Les évangiles ont été murmurés pour la première fois dans ces langues, sur ces terres. Les martyrs des premiers siècles, les Pères de l’Église, les monastères suspendus du désert, tout cela n’est plus qu’un décor en ruines, ou un souvenir.
Il reste quelques voix: un prêtre à Damas, une religieuse à Homs, un évêque à Zahlé, quelques familles encore debout à Erbil. Ce sont les ultimes veilleurs. Ceux qui tiennent non par naïveté, mais par fidélité. À eux seuls, ils incarnent une histoire deux fois millénaire. Mais pour combien de temps?
Alors que l’écho des bombes s’éteint dans l’église de Damas, une vérité s’impose: si rien ne change, les chrétiens d’Orient deviendront bientôt une légende. Comme les nestoriens d’Asie ou les cathares d’Occitanie. Et l’église Saint-Elie ne sera qu’une pierre de plus sur la tombe de cette mémoire.
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