
Cela s’applique dans le cas d’un individu, mais cela est surtout vrai lorsque le devenir d’une nation est en jeu… En période de crise aiguë existentielle, il devient impératif de se remettre en question, d’évaluer le bilan de l’action entreprise. Dans le cas (très) particulier de la République islamique iranienne, des questions fondamentales doivent être soulevées non seulement en tenant compte des attaques lancées par Israël et les États-Unis contre l’Iran, mais en remettant aussi sur le tapis la ligne de conduite du pouvoir en place à Téhéran depuis 1979.
Le régime des mollahs a-t-il (ou plus exactement, «avait-il») pour objectif de «libérer la Palestine» et de mener une guerre à outrance contre Israël? Son but était-il, plutôt, de combattre les États-Unis, qu’il a qualifiés dès 1979 de «Grand Satan» à abattre? Ou bien cherchait-il à faire de l’Iran une grande puissance régionale, sous le couvert de l’exportation de la Révolution islamique?
Ces interrogations entraînent une fâcheuse constatation… Depuis l’éviction du chah d’Iran, à la fin des années 1970, le pouvoir khomeyniste a adopté un comportement foncièrement irrationnel, affichant un manque total de vision d’avenir, réalisable, pragmatique, tenant compte des réalités régionales et internationales. Il a opté pour une posture anti-américaine primaire, entretenant une mobilisation populaire haineuse et belliqueuse, basée sur de pures chimères fondées sur le slogan populiste de la lutte contre le «Grand Satan».
En donnant l’ordre aux bombardiers B-2 de lancer des attaques contre les sites nucléaires iraniens, le président Donald Trump – et avec lui nombre d’Américains – n’avait sans doute pas oublié la prise d’assaut de l’ambassade américaine à Téhéran, en novembre 1979, par des étudiants islamistes pro-Khomeiny qui avaient occupé la Chancellerie pendant 444 jours, retenant en otage 52 diplomates et citoyens américains. Il avait aussi, sans doute, encore présent à l’esprit l’attentat meurtrier, en avril 1983, contre l’ambassade américaine à Beyrouth, qui avait fait 63 morts (dont plusieurs cadres de la CIA) et qui avait été attribué au Hezbollah et au Corps des gardiens de la révolution. Sans compter le funeste attentat terroriste, en octobre 1983 (attribué également à la milice pro-iranienne), contre le quartier général des Marines, sur la route de l’aéroport de Beyrouth (241 tués). À cela venaient s’ajouter tous les rassemblements populaires galvanisés par le slogan «Mort à l’Amérique».
Le régime des mollahs avait ainsi la prétention de mener un combat acharné contre les États-Unis… Mais était-il réellement conscient qu’il se mesurait à la première puissance mondiale, dotée d’un développement technologique, notamment militaire, inégalé dans le monde? Il aura fallu sans doute les trois raids aériens de la nuit du 21 au 22 juin, accompagnés du déploiement d’une impressionnante armada américaine (trois porte-avions, des dizaines d’avions de combat, un sous-marin, plusieurs bâtiments de guerre) pour que le pouvoir à Téhéran se trouve confronté à la dure et humiliante réalité de l’écrasante suprématie américaine.
La République islamique s’est posée en outre en porte-étendard de la lutte contre Israël, ambitionnant, dans le même temps, d’acquérir un statut de grande puissance régionale. Ignorait-elle que pour atteindre l’un et l’autre de ces deux objectifs, il fallait construire une économie solide et prospère, édifier une société moderne, pluraliste et ouverte sur le monde (plutôt que de flageller des jeunes filles, pour une mèche de cheveu qui déborde, ou de pendre des jeunes parce qu’ils avaient eu l’audace de chanter et de danser sur la place publique)?
Le régime des mollahs ignorait-il que pour combattre Israël, il était également impératif d’œuvrer à mettre sur pied un service et un vaste réseau de Renseignements sur des bases scientifiques, technologiques et professionnelles? Ignorait-il qu’il se devait, pour occuper une place de choix sur l’échiquier moyen-oriental, d’entretenir de solides amitiés internationales (au lieu de mener des campagnes haineuses contre les pays du Golfe et d’implanter dans certains pays arabes, ainsi qu’à Gaza, des milices qui se sont imposées dans leur milieu par la répression, la coercition, les assassinats, les menaces et les actes d’intimidation)? Et, cerise sur le gâteau, le régime khomeyniste n’a pas voulu comprendre que ce n’est pas en créant des cellules terroristes dans plusieurs pays européens ou en entretenant des réseaux mafieux en Amérique latine qu’il pouvait s’assurer, en cas de crise, le soutien d’États amis, respectés à l’échelle internationale.
L’erreur fatale sans doute commise par la République islamique, et dont il a payé le prix fort dans la nuit du 21 au 22 juin, aura été son obstination à miser sur un programme nucléaire pour acquérir ce statut de puissance régionale tant convoité. Il était pourtant clair qu’il s’agissait là d’une ligne rouge à ne pas franchir dans cette partie du monde, comme l’ont démontré clairement la destruction par l’aviation israélienne du réacteur nucléaire irakien en juin 1981 et du réacteur syrien en septembre 2007, en plus des fortes pressions exercées en décembre 2003 par les États-Unis et le Royaume-Uni sur le leader libyen Moammar Kadhafi pour le contraindre à renoncer à son programme nucléaire.
Autant de développements qui démontraient visiblement qu’aussi bien Israël que les États-Unis, les pays du Golfe et les pays européens ne pouvaient pas accepter qu’un arsenal militaire nucléaire soit détenu par un pouvoir autoritaire, autocratique, rétrograde, qui réprime dans le sang toute opposition interne. C’est parce qu’il n’a pas su percevoir ou admettre de telles évidences, que le régime des mollahs a vu s’envoler en fumée des investissements de non moins de 150 milliards de dollars, étalés sur près de trente-cinq ans, dans un programme nucléaire, pourtant clairement condamné dès le départ à ne pas aboutir à son terme. Il n’est pas difficile dans un tel contexte d’imaginer quels bienfaits aurait eu un tel investissement s’il avait été consacré au développement de secteurs productifs et au bien-être d’une population qui a prouvé ces dernières années sa vitalité et son audace.
En trente-cinq ans, le régime des mollahs a fait preuve d’un incroyable aveuglement politique. Il a accumulé les erreurs de calculs et de jugement, a fait le mauvais choix en misant sur le nucléaire, de sorte qu’il a atteint au fil des ans les summums du gâchis et du comportement irrationnel.
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