Un été sous tension: entre angoisse et humour, les Libanais face au conflit Iran-Israël
«On vit avec»: face à un nouveau conflit régional, les Libanais activent leurs mécanismes de défense – humour, fête, musique, ou déni. ©Ici Beyrouth

Alors que le conflit entre l’Iran et Israël s’intensifie, les Libanais vivent un nouvel été sous tension. Entre peur d’une escalade régionale, traumatismes ravivés et besoin de légèreté, chacun compose avec l’incertitude à sa manière. Résignation, humour, fête ou abstraction: plongée dans un pays suspendu à un équilibre si fragile.

En ce début de saison estivale, un nouveau conflit – cette fois entre Israël et l’Iran – est venu assombrir le soleil des Libanais.

«Comme toujours, nos étés sont gâchés», lance Karl, d’un ton amer. Ce quadragénaire se lance alors dans une longue diatribe et se remémore les nombreux étés perturbés par les guerres locales et régionales, qui se répercutent «toujours» sur le Liban et le moral de ses habitants «d’une manière ou d’une autre».

«L’année dernière déjà, nous étions terrés au son des mauvaises nouvelles venant du Liban-Sud. Comme en juillet 2006, nous ne sommes jamais épargnés», poursuit-il.

Alexandra partage le même avis. Même si elle reconnaît que «techniquement, cette guerre est lointaine», elle cite l’impact déjà visible sur certains indicateurs économiques, notamment dans le secteur touristique, en moins de dix jours.

L’état psychique des uns et des autres en prend également un coup. Alexandra évoque alors les «traumas enfouis des Libanais» qui ressurgissent: ces sentiments d’angoisse, de panique et de peur qui sont «redéclenchés» à chaque nouveau conflit.

La fête, la musique et le rire: boucliers contre les traumas

Elle insiste sur «l’humour, le mécanisme de défense favori des Libanais pour dédramatiser les situations anxiogènes». Il suffit de faire un tour sur les réseaux sociaux pour y découvrir blagues et vidéos devenues virales.

Crédit anonyme: photo partagée dans un groupe WhatsApp

Comme cette vidéo partagée en boucle sur les réseaux sociaux, reprise ensuite par des médias internationaux, dans laquelle on voit un saxophoniste libanais continuer à jouer sur un rooftop à Tabarja, alors que des missiles iraniens se dirigent vers Israël, illuminant le ciel libanais.

«Je ne prends pas parti. J’ai joué de la musique car c’est la seule manière que je connaisse pour répondre à la situation», confie le musicien, Alain Otayek, interrogé dans l’émission Quotidien de Yann Barthès sur TMC, en affirmant qu’il refuse «toute récupération politique» de son geste.

Sur son compte Instagram, il explique aussi dans un reel que c’est «son instinct» qui l’a poussé à poursuivre son solo de saxophone, considérant la musique comme un «message d’amour et de paix». Ni plus, ni moins.

Autre témoignage: «Samedi dernier, lors d’une soirée chez des amis à la montagne, j’ai filmé les missiles que je voyais dans le ciel», raconte Kira, 23 ans, avant d’ajouter: «Beirut is Beiruting again». Cette jeune femme a choisi «la vie et la fête» pour dédramatiser.

Comme elle, ils sont nombreux à avoir filmé leurs soirées dansantes, sous un ciel étoilé de missiles iraniens traversant l’espace aérien libanais avant d’être interceptés par Israël.

Cela a même inspiré l’humoriste et comédien franco-marocain Amine Radi. Dans son reel devenu lui aussi viral sur Instagram, intitulé Les Libanais et la guerre, il s’exclame: «(…) Habibi, les Libanais, vous êtes fous? Vous avez atteint un autre niveau de folie! Là, il y a la guerre entre l’Iran et Israël, ils s’envoient des missiles. Les Libanais, ils font quoi? Ils filment! Ils font des Snapchat, des stories. (…) Y’a rien qui vous fait peur?»

Commentant cette vidéo, une internaute rend ainsi hommage aux Libanais: «Ce sont des âmes devenues quasi imperméables… Après toutes les guerres et tous les conflits qu’ils ont traversés, seul compte l’instant présent. ❤️❤️ Sending love to beautiful Lebanese ppl».

Anxiété, immunité, résignation et sentiment d’impuissance

D’autres personnes rencontrées disent clairement ressentir de l’anxiété.

«Je suis un peu anxieuse, mais on en a l’habitude, surtout après les neuf mois de guerre que nous avons vécus au Liban. C’est devenu une routine, on vit avec», confie Andy, 22 ans. Elle espère surtout que le Liban – sous-entendu le Hezbollah – «n’entrera pas dans cette guerre».

«Bien sûr que je stresse un peu quand je vois un missile dans le ciel», explique Tarek. Et s’il tombait? «Je ne peux rien y faire, je fais avec», poursuit ce trentenaire, d’un ton résigné.

Kareen, quant à elle, se dit «blasée, vidée, impuissante face à la barbarie des sociopathes qui nous gouvernent».

Même son de cloche pour Élie, qui dit redouter l’inconnu: «C’est une situation qui pourrait dégénérer à tout moment. Je m’attends à un été incertain, voire chaotique. C’est frustrant et stressant de rester dans l’expectative, sans aucun contrôle sur les événements.»

Confiants en l’avenir

À l’inverse, certains se disent confiants et sans peur. C’est le cas de Nabila: «On en a vu d’autres au Liban… Je m’en remets donc à la volonté divine», confie-t-elle, apaisée et apaisante.

Karim abonde dans ce sens: «Je pense que le Liban n’a rien à voir dans cette nouvelle guerre. Le pays est entré dans une nouvelle phase.»

Carla va plus loin dans son analyse: «Je suis quasi sûre que ça ne va pas dégénérer, que le Hezbollah n’interviendra pas. Et même s’il intervenait (ce qui est très improbable), les représailles se limiteront au Liban-Sud et à la banlieue sud de la capitale.»

Comme dans un film de science-fiction

Pour Pascal, «c’est surnaturel de voir des missiles dans le ciel alors que cette guerre ne nous concerne pas».

Même son de cloche pour Maha, professeure de yoga rencontrée au centre-ville de Beyrouth. «C’est de la science-fiction, tout ce qui s’enchaîne dans ce pays», lance-t-elle, consciente des enjeux, mais le sourire aux lèvres.

En effet, à l’heure où nous écrivons ces lignes, le monde, impuissant, continue d’observer Israël et l’Iran s’affronter militairement depuis maintenant neuf jours.

Nous clôturons cet article avec la sagesse d’Élie: «Aujourd’hui, pour tenir au Liban, il faut soit se réfugier dans le déni, soit s’abandonner au divertissement ou à sa passion, soit un mélange de tout cela… avec beaucoup de sang-froid. Il faut aussi vivre l’instant présent, dans une forme d’abstraction.»

À bon entendeur, salut!

 

 

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