Derrière la tendance messy girl, un chaos orchestré
Une tenue portée par Billie Eilish lors de l’émission Saturday Night Live du 11 décembre 2021 est exposée dans le cadre de l’exposition «SNL: Ladies & Gentlemen… 50 Years of Music» au Rock & Roll Hall of Fame and Museum, le 14 juin 2025 à Cleveland, Ohio. ©Duane Prokop / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Cheveux décoiffés, maquillage flou et t-shirt froissé: la tendance messy girl explose sur les réseaux sociaux. Derrière cette apparente spontanéité se cache une construction très étudiée, reflet d’un nouveau rapport à l’image et aux normes.

Le cheveu flou et l’eye-liner qui bave, le tout dans un t-shirt froissé: depuis plusieurs mois, dans le monde entier, la messy girl s’impose sur les réseaux et dans les rues, une tendance moins libératrice qu’il n’y paraît.
À l’inverse de la clean girl qui, avec sa peau parfaite, ses cheveux soigneusement plaqués et son look assorti à son intérieur impeccablement rangé, a dominé ces dernières années, la messy girl, ou «fille bordélique», incarne une esthétique plus rock et désordonnée, façon retour de soirée.

Un look adopté par la chanteuse britannique Charli XCX, à l’origine de la tendance cousine brat, ou encore par son homologue américaine Billie Eilish, et qui séduit de plus en plus.

Sur les réseaux sociaux, le hashtag #messygirl cumule des milliers de vues, en partie popularisé par la chanson I'm too Messy de la Britannique Lola Young.

Sur TikTok, le quiz «clean girl ou messy girl», pour déterminer à quel clan on appartient, fait le buzz.

Entre les collants déchirés de Courtney Love dans les années 1990, l’eye-liner dégoulinant d’Amy Winehouse et les bottes de pluie en festival de Kate Moss dans les années 2000-2010, ce «laisser-aller sublimé» n’a pourtant rien de nouveau, remarque Sophie Abriat, autrice française spécialiste de la mode et du luxe, auprès de l’AFP.

«La tendance est un peu à mi-chemin entre le soft grunge des années 2010 et l’indie sleaze (style à la fois rock et bohème, ndlr) des années 2000. Sauf qu’aujourd’hui, toute tendance passe au filtre de l’algorithme et devient un hashtag», souligne-t-elle.

«Burn-out stylisé»

Mais plus qu’une simple esthétique, la messy girl personnifie un mode de vie prônant le lâcher-prise et l’acceptation de soi.
«C’est l’esthétique qui célèbre l’imperfection, la nonchalance, le désordre, la vulnérabilité émotionnelle.(…) Elle se présente comme critique de l’hyperproductivité mais aussi des injonctions et des standards de beauté» propres à la tendance clean girl, analyse Sophie Abriat.
«Elle oppose au contrôle une esthétique de la faille, du +chaos+. Une sorte de burn-out stylisé…», poursuit-elle.

Un burn-out soigneusement calibré. En effet, derrière l’apparente spontanéité de la tendance se cache souvent une construction millimétrée. Ainsi, les tutoriels pour se faire un maquillage ou se créer une tenue de messy girl se multiplient.
À la mise en scène du contrôle absolu par la clean girl succède «une sorte de mise en scène de l’authentique», constate Claire Roussel, journaliste française spécialiste de l’impact de la mode. «Le chaos apparent est souvent construit», abonde Sophie Abriat.

Ce désordre orchestré censé être libérateur ne semble par ailleurs pas accessible à toutes. «On ne constate pas une grande émancipation féministe, parce que cette tendance est représentée par des femmes blanches, très minces, hyper hétéronormées, des célébrités comme Kate Moss…», pointe Claire Roussel.
«Ce n’est pas une tendance qui pense à la diversité. En ce sens, ce n’est pas spécialement très féministe», estime-t-elle.

Récupération

En outre, si la messy girl veut s’extirper des normes sociales dominantes, elle n’échappe pas au risque de la récupération par l’industrie de la mode et de la beauté.
«C’est le paradoxe : même l’imperfection peut être stylisée, vendue, éditorialisée, et cela, les marques de mode l’ont bien compris», observe Sophie Abriat.

Le style indie sleaze était notamment très présent lors de la dernière Fashion Week féminine de Paris, avec beaucoup de cuir, le retour du pantalon slim ou encore celui du t-shirt à message, avec le top J’adore Dior, réinterprétation de la création de l’ancien directeur artistique John Galliano.

Pour autant, la messy girl offre une bouffée d’air frais non négligeable dans une période qui voit émerger des «tendances très réactionnaires», comme celle des tradwives, ces «épouses traditionnelles» au foyer, ou le retour des contenus pro-anorexie, assure Claire Roussel.
«Si des gens trouvent une tendance qui leur permet de contrer ces injonctions hyper conservatrices et en sous-texte profondément misogynes, c’est super», conclut-elle.

Avec AFP

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