Entre missiles et milices, l’Irak vacille sous la pression régionale
Un défilé militaire organisé par l'armée irakienne, Hachd al-Shaabi et la police, se déroule sur une autoroute lors d'une cérémonie marquant l'anniversaire de la défaite du groupe État islamique dans la ville de Mossoul, au nord de l'Irak, le 10 décembre 2024. ©Zaid al-Obaidi / AFP

Alors que les frappes aériennes israéliennes et les missiles iraniens sillonnent le ciel du Moyen-Orient, l’Irak se retrouve pris en étau au milieu du champ de bataille diplomatique et militaire.

Ce pays, encore fragile après des décennies de conflits, est géographiquement et stratégiquement exposé à cette confrontation entre deux puissances régionales.

Sa stabilité, patiemment reconstruite, est désormais suspendue à l’évolution d’un conflit dont il cherche à tout prix à se tenir à distance. Dans ce contexte explosif, Bagdad tente de naviguer prudemment entre Téhéran et Washington afin de préserver sa souveraineté.

Un ciel irakien devenu corridor stratégique

Avec ses 438.000 km² et une longue frontière avec l’Iran, l’Irak est incontestablement l’un des territoires les plus exposés dans le conflit entre Israël et l’Iran. Sa position en fait un couloir aérien potentiel pour les opérations des deux camps.

Des avions israéliens appelés à frapper l’Iran ainsi que des missiles iraniens visant Israël transitent par l’espace irakien afin d’atteindre leurs cibles. Les États-Unis ont reconnu cette vulnérabilité en évacuant partiellement leur ambassade à Bagdad, prévoyant que l’Irak pourrait devenir un «corridor involontaire».

Pris de court par l’attaque israélienne contre l’Iran, le Premier ministre irakien, Mohammed Chia el-Soudani, a adopté un ton ferme. Il a qualifié l’opération de «violation flagrante du droit international» et d’«acte d’agression».

Il a réitéré le refus catégorique de voir l’espace aérien ou le sol irakien utilisé à des fins militaires contre un pays voisin. L’Irak a même porté plainte auprès du Conseil de sécurité de l’ONU.

En vertu de l’Accord-cadre stratégique de 2008 avec Washington, qui interdit l’utilisation de son territoire pour attaquer d’autres États, Bagdad a appelé les États-Unis à empêcher les survols israéliens.

Les milices pro-iraniennes, un État dans l’État

Mais la situation interne complique la donne. Les Forces de mobilisation populaire (Hachd al-Chaabi), milices chiites pro-iraniennes intégrées aux forces de sécurité irakiennes, jouent un rôle ambigu. Selon le Quincy Institute of Responsible Statecraft, plusieurs factions de ces milices poursuivent une politique propre, parfois contraire à celle de Bagdad.

Certaines ont mené des opérations unilatérales, comme l’enlèvement de la chercheuse Elizabeth Tsurkov. Leur influence complique la marge de manœuvre du Premier ministre irakien.

L’escalade régionale a ranimé leur rhétorique antiaméricaine. Plusieurs chefs de milices, dont Abou Hussein al-Hamidawi (chef des Kataeb Hezbollah), ont menacé de viser directement les bases américaines si Washington intervenait. Akram al-Kaabi (chef de Harakat Hezbollah al-Nujaba) a de son côté accusé les États-Unis de «coopération» avec Israël.

Ces propos, récurrents depuis l’assassinat de Qassem Soleimani, en 2020, font craindre une reprise des attaques contre les forces américaines.

C’est dans ce contexte que la présence des 2.500 soldats américains en Irak devient une source de tension. Officiellement présents pour soutenir la lutte contre Daech, ils sont désormais perçus comme des cibles potentielles.

Entre Téhéran et Washington, l’Irak pris en étau

Pour Washington, l’enjeu est de taille: empêcher les survols israéliens reviendrait à s’opposer à son allié, mais ne rien faire serait alimenter la colère des milices et de Téhéran. Le départ des Américains compromettrait aussi la lutte antiterroriste, créant un vide que pourrait exploiter l’État islamique.

L’Institute for the Study of War (ISW) va plus loin, affirmant que l’Iran a déjà préparé des frappes contre des bases américaines en Irak, et que ses milices alliées sont en position de cibler directement les intérêts américains si le conflit s’étend.

Par ailleurs, l’Irak reste dépendant de l’Iran pour son électricité. Un tiers de sa consommation repose sur le gaz iranien. Les frappes israéliennes ont déjà endommagé des infrastructures en Iran, menaçant les livraisons.

En période de tension, Téhéran n’hésite pas à suspendre ses exportations. Pour Bagdad, un arrêt prolongé provoquerait des coupures de courant massives et alimenterait la colère populaire.

Enfin, la faiblesse de la défense aérienne irakienne rend le pays vulnérable. Selon le QIRS, malgré des investissements récents, les systèmes actuels ne permettent pas d’intercepter efficacement les menaces aériennes. Le 15 juin, des batteries américaines à Erbil ont dû intercepter un drone iranien. Bagdad reste donc dépendant de ses alliés pour protéger son espace aérien.

Face à cette accumulation de pressions croisées (diplomatiques, énergétiques, militaires et internes), Bagdad tente de préserver son équilibre. Mais si le conflit régional devait s’enliser, l’Irak pourrait devenir l’une de ses premières victimes collatérales.

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