
À chaque flambée de tensions au Moyen-Orient, la fermeture des espaces aériens précipite compagnies, agences de voyage et passagers dans une course contre la montre. Vols déroutés, escales rallongées, décisions prises à la dernière minute… Plongée dans les coulisses d’un ciel devenu imprévisible, où chacun s’efforce de naviguer au cœur du chaos.
Avec l’escalade militaire survenue vendredi dernier entre l’Iran et Israël, les voyageurs ont une nouvelle fois été confrontés aux réalités brutales d’un ciel sous tension. L’espace aérien de plusieurs pays a été fermé, des vols ont été annulés ou détournés, et des centaines de passagers se sont retrouvés bloqués dans des aéroports.
Mais que se passe-t-il concrètement quand un espace aérien est fermé? Quel est l’impact sur les parties concernées: passagers, agences et compagnies aériennes?
Une décision éminemment politique et sécuritaire
La décision de fermer un espace aérien est généralement prise par l’autorité nationale de l’aviation civile du pays concerné. Elle ne se fait jamais isolément: militaires, services de renseignement et gouvernement sont systématiquement impliqués. Dans un contexte de conflit régional, comme celui entre l’Iran et Israël, l’évaluation repose sur les risques liés aux frappes aériennes, aux missiles ou aux drones. Une fois la décision prise, elle est diffusée aux compagnies aériennes via des NOTAMs (Notices to Airmen), qui sont des messages officiels utilisés dans le monde de l’aviation pour signaler les restrictions ou les dangers dans une zone aérienne donnée.
Contactée par Ici Beyrouth, la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) libanaise s’est abstenue de tout commentaire concernant la procédure actuellement adoptée pour décider de l’ouverture ou de la fermeture de l’espace aérien libanais.
Le cas de la MEA: entre prudence et adaptation
La compagnie aérienne libanaise Middle East Airlines (MEA) fait face à cette instabilité avec une cellule de crise permanente. Interrogé par Ici Beyrouth, le capitaine Mohammad Aziz, conseiller principal auprès de la présidence de la MEA et expert en gestion des risques et sécurité aéroportuaire, souligne que la compagnie travaille en étroite coopération avec la DGAC: «Nous recevons les informations de la DGAC, avec qui la coordination est constante. Mais même en cas d’autorisation de vol, si notre cellule de crise juge que le niveau de risque est trop élevé, nous choisissons de ne pas opérer.»
Vendredi soir, alors que l’ampleur de l’escalade entre l’Iran et Israël devenait incertaine, «nous n’avions pas de données précises sur l’altitude des missiles ni sur leur trajectoire, explique-t-il. Dans le doute, la DGAC a préféré suspendre tous les vols jusqu’au lendemain matin». Cette décision a eu un impact immédiat: un avion en provenance de Paris a dû être dérouté vers Istanbul, un autre venant de Doha a été redirigé vers Le Caire, l’aéroport de Larnaca étant déjà saturé.
Pour mieux gérer ces imprévus, la MEA prend aujourd’hui ses précautions en matière de logistique. Les avions sont chargés de quantités supplémentaires de carburant, permettant d’éventuels détours. «Cela coûte plus cher et alourdit l’appareil, mais augmente notre marge de sécurité. Plus de flexibilité dans la prise de décision, c’est plus de sécurité opérationnelle», assure le capitaine Aziz.
La situation dans la région rend la planification classique quasi impossible. L’espace aérien jordanien, par exemple, ouvre et ferme de façon intermittente. L’espace syrien reste fermé, tout comme celui de l’Irak. «Un vol Beyrouth-Amman, habituellement d’une heure, peut désormais en prendre deux. La liaison vers Dubaï passe de trois à quatre heures. Dans ces conditions, impossible de maintenir des opérations normales: les annulations et les modifications tombent souvent à la dernière minute», résume-t-il.
Face à la perturbation de son planning, la compagnie s’ajuste au jour le jour. Ainsi, pour faire face à la demande de passagers bloqués par des annulations, la MEA a opéré ce week-end des vols supplémentaires vers Istanbul, Le Caire et Milan. Mais dans le même temps, d’autres lignes continuent d’être suspendues: ainsi, les vols vers Bagdad, Erbil et Nadjaf ont été annulés ce mardi 17 juin, en raison de la fermeture prolongée de l’espace aérien irakien. Ce va-et-vient d’adaptations illustre bien l’instabilité dans laquelle la compagnie doit évoluer.
La prise en charge des passagers: une géométrie variable
La gestion des passagers dans ce contexte mouvant dépend, elle aussi, de multiples facteurs.
«Si l’avion a décollé, on prend en charge. S’il est encore au sol, le passager reste à l’aéroport. En cas de déroutement de quelques heures, comme vendredi, les voyageurs attendent dans le salon VIP. Si le vol est reporté au lendemain, nous prenons en charge la nuitée», précise M. Aziz, ajoutant qu’«il n’y a pas de règle uniforme, chaque cas étant évalué séparément».
Air France, pour sa part, a suspendu ses vols à destination et en provenance de Beyrouth jusqu’au 17 juin inclus. Dans une déclaration adressée à Ici Beyrouth, la compagnie indique qu’elle «suit de près l’évolution de la situation au Moyen-Orient en temps réel» et que «la sécurité de ses clients et équipages demeure sa priorité absolue». Des mesures commerciales ont été mises en place permettant aux voyageurs concernés de reporter ou d'annuler leurs déplacements sans frais jusqu’au 22 juin.
Du côté des agences de voyage, les équipes travaillent dans l’urgence. Le directeur d’une agence libanaise déclare recevoir les modifications des compagnies aériennes «à la minute près», et devoir jongler avec les demandes de clients parfois bloqués à l’étranger. Il donne l’exemple de passagers ayant réservé leurs billets en ligne avec escale à Istanbul qui se sont retrouvés sans solution après l’annulation de leur vol de correspondance. «Ils nous ont appelés et nous avons réussi à leur trouver des places sur les avions de la MEA, les seuls à faire encore la liaison vers le Liban», raconte-t-il.
Quand l’attente dépasse huit ou neuf heures, les agences demandent aux compagnies d’assurer l’hébergement des voyageurs. «Pour les vols charters que nous gérons, il nous arrive de payer nous-mêmes la nuitée», précise encore le directeur d’agence. En cas d’attente prolongée, il tente de faire sortir les passagers de l’aéroport pour leur fournir un logement, un guide ou tout autre service essentiel. «Cela dépend des cas, mais nous faisons tout pour que le voyageur soit le moins impacté possible», assure-t-il.
Malgré cette incertitude généralisée, certaines zones demeurent relativement stables: les vols vers l’Europe ne posent pas de difficulté majeure. En revanche, «vers l’Est, c’est plus compliqué», note le gérant, conseillant à ses clients d’arriver à l’aéroport au moins quatre heures avant le décollage et de toujours prévoir une somme supplémentaire pour faire face aux imprévus.
Assurances en temps de risque
Les compagnies d’assurances, elles, tardent à adopter une position claire à l’égard des assurances de voyage. «En général, elles couvrent les retards, mais là, on parle de force majeure. Les compagnies n’ont pas encore répondu à nos requêtes», déplore le directeur d’agence.
Quant aux assurances spécialisées dans l’aviation, elles font preuve d’une certaine tolérance, selon le capitaine Aziz, en raison de la réputation de sérieux dont jouit la MEA, acquise lors de précédents conflits. «Nous avons encore une marge de manœuvre avec les assureurs. Ils font confiance à notre gestion du risque», affirme-t-il, précisant que dans ce type de situation, la compagnie reste en alerte permanente.
Alors que le ciel moyen-oriental reste suspendu aux tensions géopolitiques, compagnies, agences et passagers doivent composer avec l’invisible et l’imprévisible. Le coût de l’adaptation, lui, ne cesse d’augmenter, surtout pour les poches des voyageurs.
Commentaires