L’intégration de 3.500 jihadistes ouïgours dans l'armée syrienne suscite des interrogations
©Ici Beyrouth

Nouveau tournant stratégique majeur pour la Syrie d’Ahmad el-Chareh. Dans un geste controversé, les États-Unis ont approuvé l'intégration d'environ 3.500 anciens combattants jihadistes étrangers, principalement des Ouïghours, au sein de la 84e division de l'armée syrienne.

Conditionnée à une transparence dans le processus, cette décision viserait, selon les observateurs, à stabiliser la Syrie post-Assad et à prévenir une résurgence de l'extrémisme en réintégrant ces individus dans des structures étatiques. Qui sont les Ouïghours? Comment comprendre ce revirement de la politique américaine? Quel sort est réservé aux autres groupes armés en Syrie?

Les Ouïghours: ennemis d’hier, amis d’aujourd’hui?

Originaires de la région autonome du Xinjiang, dans l’ouest de la Chine, les Ouïghours présents en Syrie sont majoritairement des membres de la communauté musulmane turcophone. Victimes de répression dans leur pays d’origine, une partie d’entre eux s’est radicalisée et a rejoint les rangs jihadistes à Damas au cours de la guerre civile qui avait éclaté en 2011.

Leur nombre est actuellement estimé à 4.000 ou 5.000 combattants, selon des sources sécuritaires. Il s’agit donc de l’une des communautés jihadistes étrangères les plus importantes sur le sol syrien après les Tchétchènes et les Tunisiens.

Actif depuis notamment 2013, le Turkistan Islamic Party (TIP), principal groupe ouïghour en Syrie, a réussi à établir une forte présence dans le pays, notamment dans les provinces d’Idleb et de Lattaquié.

Classée terroriste par plusieurs pays, l’organisation séparatiste ouïghoure a combattu aux côtés d’Al-Qaïda et de ses affiliés syriens comme Hay’at Tahrir al-Cham (HTC). Elle a, par ailleurs, joué un rôle décisif dans des offensives contre les forces du régime de l’ancien président syrien déchu, Bachar el-Assad, notamment dans les zones montagneuses stratégiques.

Aujourd’hui, et avec le nouveau feu vert américain, le TIP aurait annoncé sa dissolution, ses membres étant désormais intégrés sous l'autorité du ministère syrien de la Défense.

Quid des autres groupes armés?

Outre les Ouïghours, la Syrie a accueilli divers groupes de combattants étrangers au fil des années. Selon des estimations sécuritaires, environ 30.000 jihadistes étrangers auraient rejoint les rangs de groupes extrémistes en Syrie et en Irak depuis le début du conflit.

On rappelle à cet égard que, durant cette période, des contingents afghans et pakistanais, notamment des mercenaires chiites des brigades Fatemiyoun et Zainebiyoun, soutenus par l'Iran, ont combattu aux côtés du régime Assad. Par ailleurs, des Tchétchènes, des Ouzbeks et des individus armés originaires d'Europe occidentale ont rejoint des groupes comme l'État islamique (EI) et HTC.

Bien que territorialement vaincu en 2019, l’EI maintient une présence active en Syrie. Le groupe a récemment revendiqué des attaques contre les forces gouvernementales, marquant sa première opération depuis la chute du régime Assad. Des rapports indiquent également que l'EI reconstruit ses réseaux en Syrie, menant des embuscades meurtrières et exploitant les tensions sectaires.

Revirement de la politique américaine

La décision américaine de soutenir l'intégration de ces ex-jihadistes dans l'armée syrienne reflète un changement de paradigme dans la politique étrangère des États-Unis au Moyen-Orient. Elle intervient après la visite du président Donald Trump dans la région et la nomination de Thomas Barrack en tant qu’émissaire américain pour la Syrie. Elle s'inscrit aussi et surtout dans un contexte plus large de réintégration des groupes armés en Syrie. En décembre 2024, les nouvelles autorités syriennes avaient annoncé un accord avec divers groupes armés pour leur dissolution et leur intégration au sein du ministère de la Défense, à l'exception des Forces démocratiques syriennes (FDS), dominées par les Kurdes.

Confirmant la nouvelle autorisation américaine au lendemain de sa tournée jeudi dernier, à Damas, M. Barrack a justifié cette approche en expliquant qu'il valait mieux inclure les combattants ouïghours plutôt que de les marginaliser. Il les a même qualifiés de «très loyaux» au régime syrien actuel.

Toutefois, cette mesure suscite des inquiétudes, notamment de la part de la Chine, qui reste méfiante quant à la présence de ce groupe en Syrie. Pékin craindrait, en effet, selon une source qui suit le dossier de près, «une possible radicalisation de la population musulmane présente sur le territoire chinois.

Par ailleurs, «les incidents récents, tels que les massacres perpétrés contre des populations alaouites sur la côte syrienne en mars 2025, ont mis en lumière les risques associés à l'intégration de ces ex-combattants», souligne-t-on de source sécuritaire sous couvert d’anonymat.

Alors que la Syrie cherche à se reconstruire après des années de guerre civile, l'intégration de ces anciens jihadistes dans l'armée nationale représente un pari audacieux. Reste à savoir si cette démarche contribuera à la stabilité d’un pays qui titube encore ou si elle ravivera les tensions, compromettant ainsi les efforts de paix en cours.

 

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