Le triptyque usé du Hezbollah: paranoïa, réalités et dangers
©Ici Beyrouth

Alors que six mois après l’entrée en vigueur du cessez-le-feu, les habitants du Liban-Sud continuent de se demander qui va reconstruire leurs maisons, le secrétaire général du Hezbollah s’accroche, comme un naufragé à sa bouée idéologique, au triptyque «armée, peuple, résistance».
Ce slogan, ressassé à l’infini, sonne désormais comme une incantation vide, un mantra destiné à masquer une réalité politique profondément décalée: plus personne, en dehors du noyau dur du parti, ne croit à cette formule qui a fait la preuve de son inefficacité.

Et pendant que, dans les discours, on parle encore et toujours de «victoire» et de «dissuasion», des centaines de milliers de Libanais vivent l’exil intérieur et l’incertitude, privés d’un avenir et d’un minimum de stabilité. Le Liban tout entier, exsangue, regarde, parfois avec rage.

Peut-on sérieusement parler de «résistance» quand le pays est à genoux? Quand le seul horizon proposé est celui d’un conflit sans fin, sans débat, sans alternative? Résistance pour qui? Pour quoi, d’ailleurs?

À Washington, l’heure n’est plus aux ambiguïtés. L’administration américaine augmente la pression pour un désarmement du Hezbollah, condition sine qua non à toute reconstruction crédible du sud. Et les messages sont clairs: l’aide internationale, massive, nécessaire, salvatrice, ne viendra pas tant que la milice chiite pro-iranienne continuera à s’arroger le droit d’ouvrir des fronts selon ses propres intérêts et ceux de son parrain iranien.

La prochaine visite de l’émissaire américaine Morgan Ortagus rappellera certainement l’urgence de la situation. Parce que les tergiversations ont assez duré. Dans ce contexte, un signal fort a été donné par le président libanais: à partir de la mi-juin, le désarmement des camps palestiniens à Beyrouth doit commencer. Il sera ensuite étendu à tout le pays.

Ce prélude, à la fois symbolique et opérationnel, vise à ouvrir la voie à un processus plus large: celui du désarmement de toutes les milices sur le territoire libanais, notamment la plus puissante et la plus problématique d’entre elles, le Hezbollah.

Une stratégie graduelle, mais explicite: on retire les armes là où l’État n’a jamais eu le contrôle, pour mieux poser la question centrale de celles qui défient encore l’autorité légitime.

Mais voilà, le Hezbollah est pris dans une schizophrénie stratégique. D’un côté, il comprend parfaitement que son maintien dans une logique militaire active fait fuir l’investissement, accentue l’isolement diplomatique du Liban et alimente la pauvreté de ses propres bastions. De l’autre, il redoute que la fin de son rôle militaire entraîne une dilution de son influence au sein de la communauté chiite, influence qu’il a patiemment tissée sur des décennies de clientélisme, de menaces, de propagande et de substitution à l’État.

Mais les choses changent. Même la communauté chiite, malgré la loyauté affichée, commence à s’interroger sur le coût réel de cette «résistance» perpétuelle. La faible participation aux dernières élections municipales en est un indice.

Pour aider cette communauté à se libérer des chaînes iraniennes, il faudrait probablement que les autres composantes du pays la rassurent en expliquant bien la différence, à leurs yeux, entre une milice qui n’a servi que les intérêts de Téhéran, aux dépens de ceux du pays, et les chiites libanais, qui ont les mêmes droits et devoirs que tous les autres citoyens. Un peu à l’instar de ce qui commence à se passer en Irak.

Le Hezbollah est devenu une force statique, incapable de se réinventer, enfermée dans un discours de guerre qui ne convainc plus que ceux qui en dépendent directement.

Et pendant ce temps, le Liban attend. Il attend la paix, la reconstruction, le retour des touristes, une nouvelle vision politique. Il attend qu’on cesse de parler en son nom sans lui demander son avis. Le triptyque «peuple, armée, résistance» est mort. Il ne tient plus que par la peur, l’habitude et la mythologie d’un passé inventé. Il est temps de tourner la page.

Sinon quoi? Eh bien sinon, personne ne peut écarter une nouvelle guerre. L’armée israélienne peut très bien décider de «finir le travail», par exemple. 

Autre scénario, cauchemardesque celui-là: M. Ahmad el-Chareh, revenu officiellement dans le giron international par la grande (après son entrée en scène par la «Sublime») porte, peut aussi recevoir un feu vert et lâcher sur le Liban ses hordes d’islamistes syriens, afghans, tchétchènes, ouzbeks et autres barbus, se débarrassant de ces alliés encombrants et peu fréquentables par la même occasion. 

Quand on voit ce qu’ils ont «réussi» en Syrie, on imagine aisément leurs «motivations» pour ce qui nous concerne. Ces énergumènes disent déjà, dans les rues de Damas, à certains Libanais qu’ils croisent: «On vient bientôt chez vous.»

Très rassurant… quand on connaît leurs méthodes, dans lesquelles le concept de «dégâts collatéraux» est la règle.

Ce n’est alors pas seulement le Liban-Sud qui restera détruit: c’est tout le pays qui sera enterré avec ses slogans et son triptyque creux.

Voltaire disait: «Ceux qui peuvent vous faire croire des absurdités peuvent vous faire commettre des atrocités.» Nous n’en sommes plus très loin.

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