«Tripoli, yes we can»: diaspora et réformes au cœur de la relance économique
Conférence «Tripoli, yes, we can», tenue au campus de la Beirut Arab University, à Tripoli, le 26 mai 2025. ©Ici Beyrouth

Une conférence ambitieuse réunit ministres et représentants de la diaspora pour tracer la voie de la renaissance économique libanaise.

Sous le patronage du Premier ministre, Nawaf Salam, la troisième édition de la conférence «Tripoli, yes, we can» s'est tenue lundi au campus de la Beirut Arab University, dans la capitale du Liban-Nord, rassemblant décideurs politiques et représentants de la diaspora libanaise. Au-delà du cadre local, ce sont les enjeux économiques nationaux qui ont dominé les discussions.

L'industrie, un secteur sous-financé malgré son potentiel

Le ministre de l’Industrie, Joe Issa el-Khoury, a rappelé le potentiel massif de ce secteur: plus de 240.000 emplois directs; 2,5 milliards de dollars d’exportations annuelles, plus de 1.500 produits exportés et une contribution dépassant les 10 milliards de dollars au PIB. Pourtant, entre 2000 et 2019, le ministère n’a reçu que 83 millions de dollars, soit à peine 0,03% du budget total des gouvernements successifs.

Cette sous-budgétisation contraste avec l’importance stratégique de l’industrie pour l’économie réelle et la balance commerciale. Le ministre a alors appelé à une inversion des priorités pour transformer le tissu productif libanais, dans un pays où les importations dépassent largement les exportations.

Une économie en quête de transformation

Mohammad Abou Haidar, directeur général du ministère de l'Économie, a dressé un état des lieux sans complaisance. L'économie libanaise, qui pesait entre 55 et 65 milliards de dollars de PIB avant la crise, peine aujourd'hui à récupérer la moitié de cette valeur.

«Pour restaurer la confiance, un seul mot: réformes. La confiance ne vient pas sans réformes», a-t-il martelé. La fuite des cerveaux illustre ce défi: entre 2019 et 2023, 215.000 diplômés ont quitté le Liban. Paradoxalement, la même année, le pays enregistrait 282 brevets d'invention, démontrant qu'il reste «capable d'innover, mais malheureusement incapable de retenir ses talents, faute d'environnement propice», a expliqué M. Abou Haidar.

Cette situation illustre parfaitement la théorie du capital humain de l’économiste Gary Becker, prix Nobel en 1992: l'investissement en éducation ne génère de rendements économiques que si l'environnement institutionnel permet de valoriser ces compétences.

Le tourisme, moteur de croissance pour Tripoli

Pour sa part, la ministre du Tourisme, Laura Lahoud, a insisté sur le fait que «le tourisme n'est pas un secteur auxiliaire». Avant la crise, le secteur générait «plus de 300.000 emplois directs et indirects, soit environ 25% de la main-d'œuvre active, et représentait entre 20 et 35% du PIB».

Elle a particulièrement défendu Tripoli, «capitale culturelle du nord», qui, selon elle, «a longtemps été injustement traitée, marginalisée». Au-delà du tourisme traditionnel, Mme Lahoud a plaidé pour «l'hospitalité rurale et les maisons d'hôtes qui parlent de l'authenticité».

Cependant, elle a reconnu des défis persistants, à savoir: «infrastructures non qualifiées, absence de statistiques précises, absence de financement bancaire», sans compter «la concurrence venant de projets non autorisés».

La transformation numérique vue par Fadi Makki

Le ministre de la Réforme administrative, Fadi Makki, a de son côté présenté le numérique comme secteur d'avenir. «Nous sommes prêts au niveau des ressources humaines. L'expertise libanaise dirige de nombreuses transformations numériques dans les pays du Golfe, en Amérique et en Europe».

Selon lui, le potentiel est considérable: «La stratégie de transformation numérique peut contribuer à environ 5% du PIB libanais annuellement. L'investissement numérique peut créer des emplois à des taux élevés, pas seulement pour le marché local».

Mais les défis restent majeurs. «Parfois Internet fonctionne, parfois non, parfois il y a de l'électricité, parfois non», a noté M. Makki. Il faut aussi «des lois pour encadrer ces investissements», notamment «la signature électronique» et «des lois sur la confidentialité des données».

L'engagement stratégique de la diaspora

Le directeur général de l’École supérieure des affaires (ESA), Maxence Duault, a révélé que les transferts diasporiques représentent «6 à 7 milliards de dollars vers le Liban, avec un potentiel d'extension à 8 ou 9 milliards». Mais ces flux restent des bouées de sauvetage familiales.

«Nous voulons créer un partenariat stratégique avec la diaspora libanaise», car «la diaspora est composée d'hommes d'affaires qui n'investiront massivement qu'avec des garanties de protection», a-t-il déclaré. Selon lui, trois piliers sont essentiels: attirer le capital, le protéger et le diriger dans la bonne direction.

Concernant le rétablissement de la confiance, M. Duault a souligné l’importance de l'État de droit et de la restauration du système bancaire.

Le témoignage émouvant d'Antoine Menassa

Antoine Menassa, président d’Hommes d’affaires libanais de France (Halfa), a témoigné de l'attachement de la diaspora libanaise au pays du Cèdre. Les Libanais ont «parcouru le monde entier ensemble – de l'Australie à l'Afrique du Sud et au Canada. Ils sont venus parce qu'ils croient en la patrie, la mère patrie qui est le Liban».

L'engagement reste massif: «6,6 milliards de dollars ont été transférés de l'étranger vers le Liban» l'année dernière, a-t-il indiqué. Évoquant le passé industriel de Tripoli, il a mentionné «l'usine d’Al-Arida qui employait 5.000 personnes».

En définitive, la conférence «Tripoli, yes, we can» a mis en lumière les fractures structurelles de l’économie libanaise, tout en esquissant des pistes de redressement articulées autour de l’industrie, du numérique, du tourisme et de la diaspora. Si Tripoli n’a pas occupé tout l’espace de la conférence, elle en a incarné néanmoins le levier symbolique, celui d’un Liban productif, ouvert et réformé. Reste à traduire cette vision en actes, dans un pays où les promesses n’ont de valeur que lorsqu’elles se concrétisent.

 

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