EDL:  Au cœur du problème énergétique libanais
©Ici Beyrouth

Le rationnement du courant électrique est la règle, contrairement à toute logique dans le cadre d’un État-nation. Un quart de siècle après la fin de la guerre civile, les Libanais restent à la merci des modes alternatifs pour l’approvisionnement en énergie, dans la majorité des cas à la merci du propriétaire du générateur électrique du quartier.  Électricité Du Liban (EDL) restera pour longtemps dans les annales de l’histoire du Liban une illustration emblématique de la défaillance structurelle du secteur public au Liban.  

Cependant, après avoir touché le fond du puits avec le black-out total du 17 août 2024, les Libanais peuvent désormais entrevoir les premiers signes d’une convalescence énergétique – encore fragile, mais porteuse d’espoir – soutenue par des initiatives de réforme sérieuses. Celles-ci restent toutefois constamment freinées par une lourde routine administrative, souvent exploitée par des chicaneries et querelles politiques en coulisses, ainsi que par des initiatives internationales soumises à de nombreuses conditions.

Black-out qui récidive

Le black-out total du 17 août 2024 reste gravé dans la mémoire collective des Libanais, tout aussi brutal que celui du 9 octobre 2021. À chaque fois, l'État a failli à sa mission la plus élémentaire: fournir de l'électricité. Incapable de débloquer les fonds nécessaires à l’importation de fuel pour Électricité du Liban (EDL), le gouvernement a laissé les turbines des centrales à l’arrêt – symbole criant d’un système à bout de souffle.                                                                

La rupture d’approvisionnement en courant électrique a paralysé des services publics stratégiques pour le pays, tels que l’aéroport international de Beyrouth (AIB), les systèmes de filtrage et de pompage de l’eau, les ports et les prisons.  

Le black-out du 9 octobre 2021 a été particulièrement retentissant, car la pénurie de dérivés pétroliers s’est étendue au secteur privé, empêchant les particuliers équipés de groupes électrogènes de toute capacité de production électrique.

Les grands importateurs ont, pour leur part, préféré décharger leur cargaison au Liban afin de bénéficier des tarifs subventionnés par le Trésor, puis l’ont réexpédiée vers la Syrie où ils la revendaient à prix fort.

Résultat: les Libanais se sont trouvés floués de toutes parts. Le retour progressif de la lumière n’a été rendu possible que grâce à l’intervention de l’armée libanaise, qui a puisé dans ses réserves stratégiques de carburant, et au soutien logistique des installations pétrolières de Tripoli et de Zahrani. Ensemble, ils ont permis d’acheminer quelque 6.000 kilolitres de diesel pour alimenter temporairement le réseau.

À EDL, les caisses sont vides 

La descente aux enfers de l’obscurité a commencé à ralentir le jour où le mal chronique rongeant EDL a enfin été diagnostiqué. La priorité: renflouer des caisses vides, condition sine qua non pour rétablir l’équilibre entre une demande galopante (puisque subventionnée) et une offre atrophiée – directement tributaire d’un parc de centrales vieillissantes, en attente d’une refonte en profondeur.

«Le véritable tournant repose sur des solutions basées sur le marché», affirme Walid Fayad, ancien ministre de l’Énergie et de l’Eau à Ici Beyrouth. Dix jours après sa prise de fonctions, il prenait une décision aussi impopulaire que nécessaire: relever les tarifs de l’électricité, gelés depuis des décennies. Ce dossier, il ne le découvrait pas: en 2012, alors consultant chez Booz & Co, l’ex-ministre avait déjà travaillé sur la tarification de l’électricité au Liban, dans le cadre d’un mandat confié à la firme par l’État. Dans ce contexte, il faut noter que cette décision a été précédée par une autre adoptée par le gouvernement, à son initiative, de supprimer les subventions sur l’ensemble des dérivés pétroliers.

Les tarifs montent, la consommation recule

La fin progressive des subventions démagogiques sur les tarifs de l’électricité a porté ses fruits : la consommation a chuté de 4 milliards de kilowattheures, générant près de 2 milliards de dollars d’économies. Tout comme la facture d’importation de produits pétroliers qui est passée de 8.000 tonnes à 5.000 tonnes par an. Un tournant historique pour EDL, qui retrouve, pour la première fois depuis quarante ans, un semblant de santé financière. Sa trésorerie dépasse désormais les 150 millions de dollars, tandis que ses créances clients dépassent les 500 millions. 

Ce redressement a permis à l’institution publique d'effacer une partie de son retard accumulé: maintenance des infrastructures, investissements urgents, amélioration de l’alimentation électrique – désormais assurée entre huit et dix heures par jour – et même remboursement partiel de sa dette, notamment envers l’Irak. Tout cela, dans un contexte de disette budgétaire, marqué par l’arrêt du financement public décrété par le gouverneur intérimaire de la Banque du Liban, Wassim Mansouri.

Selon le ministre actuel de l’Énergie et de l’Eau, Joe Saddi, une dette d’environ 1,2 milliard de dollars reste néanmoins accumulée envers la partie irakienne.

L’électricité plus chère, les renouvelables en plein essor 

La révision des tarifs de l’électricité à la hausse – gelés depuis l’arrivée au pouvoir de Rafic Hariri – a eu un effet catalyseur sur le comportement énergétique des ménages et des industriels. Confrontés à des coûts réels, ces acteurs se sont massivement tournés vers des solutions durables, provoquant un véritable basculement vers les énergies renouvelables. En deux ans, la capacité installée en solaire et hydraulique est passée de 150 à 1.500 mégawatts, couvrant désormais 25% de la demande nationale en électricité. La levée des subventions aveugles a permis de rétablir une logique économique, rendant les investissements dans le renouvelable non seulement viables, mais stratégiques pour tous les secteurs.

L’énergie solaire, un pilier stratégique en perte de vitesse

Le ministre de l’Énergie, Joe Saddi, entend faire de l’énergie solaire un axe majeur du redressement du secteur énergétique, sur la base d’une feuille de route déjà établie. Selon lui, la réduction du coût de production de l’énergie constitue une priorité. Elle pourrait être réalisée en élargissant le recours à l’énergie solaire, à travers la construction de centrales d’une capacité de 100 à 150 mégawatts, et en même temps, la mise en place de nouvelles centrales fonctionnant au gaz. Une solution proposée par feu l’ancien ministre de l’Énergie Georges Frem, à la fin de la guerre civile.  

Sur le terrain, le marché connaît un net ralentissement. En 2024, le Liban a importé 2,24 millions de panneaux solaires pour 75 millions de dollars, soit une baisse de 41% par rapport à 2023, et de 82% par rapport à 2022, où les importations avaient atteint 5 millions de panneaux pour 416 millions de dollars.

La demande résidentielle s’est repliée dès le début de 2023, notamment grâce à la stabilisation des générateurs de quartier, à la fin de la crise des carburants et à la généralisation des compteurs. Le recul s’explique aussi par le manque d’espace disponible sur les toits et par une saturation du marché: la plupart des ménages et des entreprises capables d’investir ont déjà équipé leurs bâtiments.

Face à une offre surabondante, les prix se sont effondrés. Le coût du watt est passé de 47 centimes en 2022 à 10-15 centimes en 2024, soit une chute de 79%. Le prix moyen d’un panneau est ainsi tombé de 92 à 33 dollars en deux ans.

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