Le photographe Sebastião Salgado, grand témoin de l'état du monde, est mort
Le photojournaliste brésilien Sebastião Salgado pose lors d’une séance photo à Paris, le 18 mai 2021. ©Joel SAGET / AFP

Le photographe franco-brésilien Sebastião Salgado est mort à 81 ans. Pendant cinq décennies, il a capté en noir et blanc la dignité des peuples et la beauté du monde, élevant le photojournalisme au rang d’art et d’engagement écologique.

Le photographe franco-brésilien Sebastião Salgado, immense figure du photojournalisme humaniste et militant écologiste de la première heure, est mort vendredi 23 mai à Paris à l’âge de 81 ans. L’Académie des Beaux-Arts, dont il était membre depuis 2016, a annoncé sa disparition. Selon sa famille, le photographe a succombé à une forme sévère de leucémie, développée quinze ans après avoir contracté une malaria rare en Indonésie, dans le cadre de son ambitieux projet Genesis.

Durant cinq décennies, Salgado a sillonné le globe, des zones de guerre aux déserts les plus reculés, des bidonvilles aux forêts primaires, pour témoigner de ce que l’humanité a de plus vulnérable et de plus grand. Il a photographié les famines au Sahel, les génocides, les migrations forcées, les peuples oubliés. Il a aussi capté la majesté des paysages menacés. Toujours en noir et blanc. Toujours avec une exigence formelle au service de l’humain. «La photographie est un mode de vie, c’est mon idéologie», disait-il.

Né en 1944 à Aimorés, dans l’État brésilien du Minas Gerais, il grandit dans une ferme isolée au sein d’une fratrie de huit enfants. Son père, éleveur de bovins, lui apprend la patience et le silence du monde rural. Cette enfance au contact de la nature marquera à jamais sa sensibilité. D’abord économiste, formé à São Paulo puis à Paris, il fuit la dictature militaire brésilienne en 1969 avec sa compagne Lélia Wanick. C’est elle qui lui offre son premier appareil photo, révélant une vocation fulgurante: «Je me suis rendu compte que les instantanés me procuraient plus de plaisir que les rapports économiques», confiait-il.

Photographe autodidacte, il débute en 1973 à Paris et intègre successivement les agences Sygma, Gamma, puis Magnum. Son style se distingue immédiatement: cadrages amples, lumière sculptée, absence de couleur, souci du détail et de la dignité. Il photographie l’attentat contre Reagan, suit les mineurs de Serra Pelada au Brésil, documente la guerre et les crises migratoires. En 1994, il fonde avec Lélia leur propre structure, Amazonas Images, entièrement dédiée à son œuvre.

Parmi ses ouvrages majeurs, Workers (1993) rend hommage aux ouvriers du monde entier; Exodes (2000) témoigne des déplacements massifs de population; Genesis (2013) célèbre les paysages encore vierges de l’impact humain; Amazonie (2021) résume sept années passées au cœur de la forêt tropicale. Ce dernier projet donne aussi lieu au film Le Sel de la Terre, coréalisé par Wim Wenders et Juliano Ribeiro Salgado, son fils, et nommé aux Oscars.

Sa photographie, presque toujours en noir et blanc, est pour lui une forme de langage: «Je ne photographie pas la misère, je photographie la dignité. Le noir et blanc me permet de m’éloigner du sensationnel et de m’approcher de l’essentiel.» S’il fut parfois critiqué pour une esthétique trop léchée, il répondait simplement: «Les frontières sont artificielles. L’étranger n’existe pas. Partout, j’ai vu le même être humain.»

Son regard est celui d’un homme du Sud global, habité par une mémoire partagée. Il aimait rappeler que son empathie venait de là: «J’ai vu les mêmes douleurs en Afrique qu’en Amérique latine, les mêmes espoirs. C’est le même peuple, notre peuple.» Ce lien de fraternité transparaît dans tous ses clichés, où il cherche à «redonner un visage à ceux que l’histoire efface, et une voix à ceux que le progrès réduit au silence».

Son engagement ne s’est jamais limité à l’image. En 1998, il fonde dans son État natal l’Institut Terra, projet pionnier de reforestation ayant permis de revitaliser plus de 2 500 hectares de terres dégradées et de sensibiliser plus de 3.000 propriétaires à la conservation de la biodiversité. L’écologie, pour Salgado, n’était pas un thème, mais une urgence vitale: «Ce que nous faisons à la nature, c’est à nous-mêmes que nous le faisons.»

En 2022, il exposait Aqua Mater à La Défense, installation monumentale dédiée à l’eau, ressource menacée: «Ces photos racontent à la fois l’histoire de l’eau en abondance et celle de ceux qui en manquent dans les camps de réfugiés.» Jusqu’à la fin, son œuvre fut habitée d’une double exigence, esthétique et éthique.

Le président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva lui a rendu hommage dans un communiqué: «Si ce n’est le plus grand, il est l’un des plus grands photographes que le monde ait connus.» En cette année France–Brésil, une grande rétrospective de 170 de ses photos est présentée à Deauville. Elle devient désormais un hommage posthume.

Il devait inaugurer ce samedi à Reims une exposition de dessins de son fils Rodrigo, porteur de trisomie 21, dans une église dont les vitraux ont été inspirés par ses propres œuvres. Ce lien entre transmission, regard, et dignité humaine, résume toute sa vie.

Sebastião Salgado laisse une œuvre magistrale, traversée par une seule conviction: que la beauté peut éveiller les consciences.

Avec AFP

 

Un regard filmé dans Le Sel de la Terre

En 2014, Sebastião Salgado fait l’objet du documentaire Le Sel de la Terre, coréalisé par Wim Wenders et son fils Juliano Ribeiro Salgado. Présenté au Festival de Cannes dans la section Un Certain Regard et nommé aux Oscars, ce film retrace autant l’itinéraire du photographe que la portée humaniste et écologique de son œuvre. Sans jamais céder à l’hagiographie, il dévoile les doutes, les blessures et les engagements d’un homme qui, à travers son objectif, a cherché à réconcilier l’homme avec la nature.

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