La normalisation interdite 
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Le Liban reproduit inlassablement des schémas politiques qu’on croyait révolus, or il n’en est rien. Le mensonge institutionnalisé s’érige en norme dans la vie politique où se jouent les simulacres d’une démocratie entièrement dévoyée. La fausseté à partir de laquelle se définit la vie politique est un obstacle majeur à toute politique de réconciliation et de réformes dont le pays a tant besoin. 

Les faux-semblants définissent la règle du jeu et nous renvoient aux turpitudes d’une oligarchie qui n’a d’autre souci que le verrouillage du système politique, la protection de ses rentes et de son maillage clientéliste et de s’inscrire dans le prolongement des politiques de suzeraineté régionale. La fin de l’épisode du fascisme chiite est loin d’être relayée par des choix de paix civile et de réformes structurelles impératives. Nous sommes toujours dans l’équivoque, le court-circuitage, les manœuvres de mauvais aloi et la malveillance.

Les énoncés du discours inaugural du nouveau président ne vont pas au-delà des promesses sans lendemain et des attentes déçues. La déclaration du premier cabinet révèle les non-dits d’une équipe ministérielle incohérente et met en relief l’absence d’un programme consensuel et la prévalence des politiques de contournement, afin de remédier à l’inconsistance d'un gouvernement hétéroclite. 

La fêlure de départ tient au fait que les deux composantes du pouvoir exécutif opèrent en l’absence de consensus minimal, de plateformes opérationnelles communes et de passerelles pour faciliter l’échange et la mise en œuvre des politiques publiques. On est dans un scénario d’évitement mutuel et de mise à distance vis-à-vis de la mission de départ: la réhabilitation de la souveraineté libanaise. 

Le paradoxe tient au fait que leur statut politique est redevable, en premier, à la nouvelle dynamique politico-stratégique créée par la contre-offensive israélienne, à la pulvérisation des «théâtres opérationnels intégrés» et à l’enrayage des politiques de domination instituées par l’impérialisme iranien. Leur conduite effective procède d’un double déni, idéologique et stratégique. Ils s’inscrivent à partir d’un non-lieu, où les enjeux stratégiques et politiques sont ignorés au profit d’une politique d’esquive intentionnelle.

Le scénario inaugural de réhabilitation politique est celui du mandat international qui leur a été confié après trois décennies de régimes alternatifs de suzeraineté. Il se fait débouter à coups de truismes idéologiques et de comportements irresponsables, comme pour mieux fuir les défis: nommément celui du désarmement du Hezbollah et de ses clones, la mise à terme des extraterritorialités de fait et la mise au ban des politiques de dépendance. Alors que la trêve négociée par les États-Unis stipule le monopole étatique de la violence, la fin des friches sécuritaires et stratégiques moyennant l’application des résolutions internationales (1701, 1559, 1680), le rétablissement de la souveraineté territoriale et le redémarrage de la diplomatie libanaise. 

Or, les écarts entre les stipulations de principe et les politiques de fait sont tellement béants que l’on se pose la question de l’aptitude du pays à pouvoir se redonner une raison d’État qui aille au-delà des vœux pieux et des déclarations mensongères dont se drapent les politiques de domination chiite et leurs doubles. 

On ne peut pas amorcer des changements à partir de non-dits, de restrictions idéologiques et d’intentions malveillantes. Le Liban est en passe de rater une transition qui aurait pu être salutaire et servir de tremplin à une ère nouvelle, alors qu'il cède à une morbidité politique bien ancrée qui va mener tout droit au conflit. 

La censure idéologique et ses travers politiques sont résolument dirimants, ils rendent impossible toute démarche diplomatique de désengagement, de négociation et de mise en forme de scénarios iréniques qui mettent fin aux cycles ininterrompus de violence, à leurs récits et aux intrications stratégiques qu’ils suscitent. La continuation du chantage exercé par les fascismes chiites s'explique par un terreau idéologique de nature agonistique, par des enjeux stratégiques conflictuels et par un contexte international non avenant. 

La question d’une transition réussie se pose de toute urgence, surtout que le Liban arrive difficilement à se redonner une stature d’État et à restituer tout un héritage démocratique et libéral et d’État de droit, alors que les blocages de culture politique, les pratiques oligarchiques et les conflits de légitimité et de souveraineté opposent des interdits. Autrement, les conflits exacerbés d'une scène moyen-orientale en pleine effervescence n'aident pas au désamorçage des conflits et à la dissipation des polarités. Ceci étant dit, il ne faudrait pas oublier les effets délétères des conflits pérennes et de leurs empreintes durables.

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