Municipales J-2: les Libanais oscillent entre devoir national et manque de confiance
À 48 heures du premier scrutin des municipales, affiches de candidats en lice dans la capitale. ©Ici Beyrouth

À quelques heures du silence électoral, observé 24 heures avant l’ouverture des bureaux de vote, dimanche au Mont-Liban, les élections municipales et de mokhtars suscitent des avis partagés. Entre l’enthousiasme des jeunes électeurs qui s’apprêtent à voter pour la première fois et la désillusion croissante de leurs aînés envers la démocratie libanaise, un constat émerge: tous appellent à un système électoral plus représentatif et réellement ancré dans la proximité.

Plus de neuf ans après le dernier scrutin municipal, et après deux reports successifs pour des raisons dites de sécurité et économiques, les électeurs libanais vont enfin pouvoir se rendre aux urnes. Le scrutin se déroulera en quatre temps: les dimanches 4 mai dans le Mont-Liban, 11 mai au Liban-Nord et dans le Akkar, et 18 mai à Beyrouth, dans la Békaa et à Baalbeck-Hermel. Enfin, les élections du Liban-Sud et de Nabatiyé auront lieu exceptionnellement le samedi 24 mai, le dimanche correspondant à la commémoration de «la libération du Sud» en 2000.

«Je veux voter pour vivre cette expérience»

Âgés de 21 ans, beaucoup de jeunes voteront pour la première fois. Bien que leur génération ait été durement touchée par la guerre récente et par la crise économique qui sévit depuis plus de cinq ans, ces jeunes gardent espoir en l’avenir du pays. Ils se disent majoritairement «heureux» de participer à ce moment démocratique.

Sophie, 25 ans, originaire du Liban-Sud, souhaite voter, mais reste incertaine: «Je ne suis pas sûre de pouvoir y aller. Cela dépendra de la situation sécuritaire le jour du scrutin», explique-t-elle. Son village, comme tant d’autres, a payé un lourd tribut durant le conflit entre le Hezbollah et Israël. Bien que le cessez-le-feu soit en vigueur depuis le 27 novembre 2024, des bombardements sporadiques et des raids ciblés sont réguliers.

«Je veux vivre ce jour de scrutin. Peut-être qu’il ne se représentera plus», confie-t-elle avec une lucidité désabusée sur un pays où rien n’est jamais prévisible ni acquis.

Sarah, également originaire du sud, ne votera pas: son village frontalier reste inaccessible.

Ali, 21 ans, de Haret Hreik, dans la banlieue sud de Beyrouth – bastion du Hezbollah – se réjouit à l’idée de pouvoir voter: «C’est un bel exercice et un devoir national. Après tout ce que nous avons traversé, je dois faire entendre ma voix.»

Même son de cloche pour Maroun, 24 ans, qui votera à Baabda: «C’est une manière d’affirmer que je suis présent et que j’ai mon mot à dire.»

À l’inverse, Noura tranche: «Il n’y a aucune raison spécifique. Je ne veux pas voter, c’est tout.»

Une affaire de famille

Pour certains, le vote reste une tradition familiale. Yves, par exemple, votera à Zebdine, dans la caza de Baabda, pour soutenir son oncle, mokhtar depuis 20 ans. Bien qu’il habite à Jbeil, il fera le déplacement avec sa famille. «Je ne connais aucun autre candidat en lice. Mon oncle s’occupe de toutes les démarches de notre clan», dit-il.

Même logique pour Vera, pharmacienne à Achrafieh. À plus de 60 ans, elle votera à Bickfaya, village natal de son mari, pour le cousin de ce dernier. Elle regrette cependant de ne pas pouvoir voter à Beit-Mery, où elle réside. Hiba, quant à elle, soutiendra la cousine de son père, candidate à sa réélection à Choueifat-El-Qobaa, convaincue par son engagement local: «Elle s’est toujours occupée de nos formalités», confie-t-elle.

Comme beaucoup d’autres électeurs, elle avoue ne pas bien comprendre le processus électoral: «On m’a dit de mettre un ou deux bulletins, ou de faire un panachage... je ne sais pas.»

Trentenaires et quadragénaires désabusés

Les trentenaires et quadragénaires interrogés se montrent bien plus sceptiques. Pour Jean-Pierre (Bickfaya), Lina (Ras Beyrouth) ou Tarek (Tripoli), voter semble inutile: «C’est une perte de temps.»

Tous dénoncent un système électoral verrouillé ou les jeux sont fait d’avance, et dans lequel leur voix, disent-ils, semble sans poids. Ils évoquent «une corruption endémique, un clientélisme enraciné et un cadre clanique».

Ils déplorent aussi un «manque de transparence, tant dans le déroulement du vote que dans la gestion des budgets municipaux».

L’absence de décentralisation, pourtant prévue par l’accord de Taëf de 1989, est un autre motif de frustration. «Tant que le Liban ne sera pas un véritable État de droit, je n’aurai aucune confiance», tranche Elie.

Vers un nouveau système électoral?

Rares sont ceux qui votent à la fois dans leur lieu d’origine et de résidence. Habitant la Békaa-Ouest mais travaillant à Beyrouth, Claudio souligne cette incohérence du système électoral.

Beaucoup dénoncent d’ailleurs l’obligation de voter dans des villages lointains, souvent déconnectés de leur quotidien.

La revendication principale est claire: pouvoir voter dans son lieu de résidence. Selon eux, cela renforcerait la responsabilité locale et permettrait aux élus de se concentrer sur des services essentiels: voirie, éclairage public, gestion de l’eau, infrastructures, jardins, écoles, services aux personnes âgées et police municipale.

À l’aube d’un scrutin longtemps repoussé, les municipales libanaises cristallisent les espoirs modestes des jeunes électeurs comme les désillusions profondes de leurs aînés. Si le sentiment du devoir national persiste chez certains, beaucoup pointent les limites d’un système électoral perçu comme figé, éloigné des réalités locales et peu représentatif. Une chose fait consensus: l’urgence d’une réforme électorale permettant à chaque citoyen de voter là où il vit, pour renforcer la proximité, la transparence et la redevabilité des élus. Car au-delà du vote, c’est la reconquête de la citoyenneté que les Libanais appellent de leurs vœux.

 

 

 

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