
Peut-on, devrait-on, faire confiance aux dirigeants de la République islamique iranienne? Sont-ils véritablement sérieux, d’un point de vue stratégique, dans leurs pourparlers avec l’administration Trump? Sont-ils réellement capables de s’engager sur la voie d’une réintégration au sein de la communauté internationale (avec toutes les conséquences que cela entraîne) et de briser, pour ce faire, leur carcan idéologique, fondé sur le pouvoir théocratique absolu de la wilayat el-faqih, instauré par l’ayatollah Khomeini, mais largement contesté au sein des sociétés chiites au Liban, en Irak et en Iran même?
Les dirigeants iraniens, ou plus précisément les porte-étendards des Pasdaran (l’aile radicale du régime), sont-ils en mesure, intellectuellement, d’opter pour un processus quelque peu semblable à celui initié lors de la création, en avril 1951, de la Communauté européenne du charbon et de l’acier, dont le but politique et stratégique était, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, de rendre «impensable», voire «matériellement impossible» tout nouveau conflit armé entre la France et l’Allemagne, et d’une manière plus générale au niveau de l’Europe, comme l’avait souligné dans un discours précurseur, le 9 mai 1950, le ministre français des Affaires étrangères, Robert Schuman? Les chefs de file du régime des mollahs en place à Téhéran ont-ils suffisamment de courage politique, de lucidité, d’ouverture d’esprit (surtout) et de vision stratégique pragmatique pour s’engager sur une voie en tant soit peu similaire?
L’ensemble de ces interrogations revêtent aujourd’hui un caractère crucial, existentiel (dans toute l’acception du terme), et devraient être posées en toute transparence, de manière radicale, dans le sillage des discussions américano-iraniennes en cours. Car c’est à ce niveau précis que se pose le véritable problème des rapports avec Téhéran et de la ligne de conduite des dirigeants de la République islamique.
Si les disciples de Khomeini sont sérieux dans leur dialogue avec les États-Unis et dans leur politique d’ouverture, ils devraient non seulement accepter le démantèlement intégral de leur infrastructure et de leurs installations nucléaires, mais également abandonner leur programme de développement de missiles balistiques et, surtout, trancher le nœud gordien représenté par leur appui sans retenue à leurs proxys qui entretiennent, en toute connaissance de cause, les conflits armés, l’instabilité galopante et la discorde dans plusieurs pays de la région. C’est alors que l’on pourra réellement croire que le pouvoir des mollahs a fait véritablement le choix d’ouvrir une nouvelle page dans ses relations avec le monde et son environnement régional, et de bâtir un avenir fondé sur la prospérité et le bien-être de la population, loin des guerres suicidaires, stériles et sans horizon.
Pour l’heure, les décideurs en poste à Téhéran font parvenir des signaux plutôt négatifs sur ce plan, soit directement, soit par le biais de leurs proxys. Le ministre iranien des Affaires étrangères, Abbas Araghchi, ne cesse d’affirmer que son pays n’accepte de discuter avec les interlocuteurs US que du seul dossier nucléaire, excluant donc d’office la question, non moins épineuse, des missiles balistiques et celle de l’expansionnisme des Pasdaran dans la région. Face à une telle donne, comment ne pas exprimer des doutes quant aux véritables intentions des pôles khomeinistes lorsque l’on sait que cela fait près de… 25 ans (!) que l’Iran entraîne par intermittence l’Occident dans les dédales de discussions sans fin sur le dossier nucléaire? Sachant que ces louvoiements ont eu pour aboutissement que la République islamique a atteint un niveau d’enrichissement de l’uranium de 60 pour cent, très proche des 90 pour cent nécessaires pour la production de la bombe!
Sur le plan libanais, le Hezbollah s’emploie progressivement, pas à pas, à vider de leur substance la résolution 1701 du Conseil de Sécurité et l’accord de cessez-le-feu conclu avec Israël en novembre dernier. Il avait suivi cette même stratégie en 2006 lorsqu’il avait lentement et systématiquement transformé tout le sud du Litani (toute la zone Finul) en une vaste base militaire et en un gigantesque entrepôt de missiles, de roquettes, de munitions et d’armes de tous calibres, en violation flagrante des termes de cette même résolution onusienne qu’il tente aujourd’hui de torpiller, une fois de plus, en affichant son refus de remettre son arsenal à l’État et en s’obstinant à affirmer que la 1701 ne concerne pas la zone au nord du Litani, contrairement à ce que prévoit explicitement la teneur du document onusien.
Dans son bras de fer avec le camp occidental, le régime iranien bénéficie d’un atout majeur: le facteur temps qui joue en défaveur des démocraties occidentales. Lorsque le régime est soumis à de très fortes pressions, lorsque la conjoncture du moment ne lui est pas favorable, il courbe temporairement l’échine, il feint de vouloir négocier et de pratiquer une politique d’ouverture… mais c’est pour mieux rebondir et faire usage plus férocement de ses crocs une fois la tempête passée.
Se montrer conciliant à l’extrême lors de négociations bilatérales avec un tel pouvoir revient à faire son jeu, à lui permettre de reprendre son souffle et, surtout, à condamner les populations de la région à demeurer otages de stratégies de déstabilisation permanente et d’aventures guerrières qui n’ont pas de fin.
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