Ils ont vendu leur visage et leur voix à une IA, mais ils n'avaient pas tout prévu
Photo d'un robot ©Alex KNIGHT / Pexels

De vrais visages mais des paroles générées par IA : sur les réseaux sociaux, des usagers vendent leur image à des sociétés marketing spécialisées dans l'IA, mais elle se retrouve parfois, à leur insu, dans des « deepfakes » douteux relayant infox ou propagande politique.

Moins coûteuse qu'un véritable tournage avec des comédiens, mais plus réaliste qu'un avatar entièrement généré par IA, cette technologie permet de constituer de vastes catalogues de « mannequins » numériques pour animer des vidéos, la plupart du temps pour vanter des produits ou des services.

Selon Solène Vasseur, consultante en communication digitale et en IA, c'est une nouvelle forme de publicité « rapide » et « peu chère » par rapport à une production traditionnelle. Et utiliser ces avatars permet aux marques de donner une image de modernité et « de montrer qu'elles sont à l'aise avec les nouveaux outils ».

Le procédé est rapide : une demi-journée de tournage sur fond vert, face à un prompteur. L'acteur d'un jour doit interpréter différentes émotions. Ensuite, l'intelligence artificielle permettra de lui faire dire toutes sortes de propos, dans une infinité de langues.

« La performance d'un être humain — en termes de voix, de langage corporel ou de micro-expressions — reste, pour l'instant, au-dessus de tout ce que l'IA peut produire », explique Alexandru Voica, responsable des affaires générales chez Synthesia, l'un des leaders du secteur basé au Royaume-Uni.

Pour fabriquer une vidéo à sa convenance, le client de la plateforme sélectionne un visage, une langue, un ton (grave, enjoué...), puis insère le texte souhaité. Le tout pour un prix modique : d'une version gratuite ultra-basique à quelques centaines d'euros pour une version « pro », par exemple.

« Surréaliste »

Mais entre jargon juridique, clauses parfois abusives et argent vite gagné, certains peinent à comprendre pleinement ce à quoi ils s'engagent en vendant leur image.

L'acteur et mannequin sud-coréen Simon Lee en a fait les frais. Présenté tantôt comme chirurgien, tantôt comme gynécologue dans des vidéos sur TikTok et Instagram, on voit son avatar vanter des pseudo-remèdes, comme des tisanes de mélisse pour maigrir ou des bains glacés pour lutter contre l'acné. Des vidéos qui servent avant tout de prétexte pour promouvoir un produit pour cheveux vendu sur Amazon.

« C'est énervant. Si c'était une publicité correcte, ça ne m'aurait pas dérangé. Mais là, c'est clairement une arnaque », confie-t-il à l'AFP. Il aimerait faire retirer les vidéos, mais son contrat stipule que son image « peut être utilisée par des tiers ».

Les contrats proposent jusqu'à quelques milliers d'euros, selon la durée de l'exploitation et la notoriété de la personne.

Pour Adam Coy, 29 ans, acteur et metteur en scène à New York, vendre son image était un choix économique. En octobre 2024, il cède les droits de son visage et de sa voix à l'entreprise MCM pour 1 000 dollars, autorisant l'usage de son avatar pendant un an.

« Si j'avais plus de succès, je pourrais peut-être avoir cette conversation éthique avec moi-même », explique-t-il.

Quelques mois plus tard, la mère de sa compagne tombe sur des vidéos dans lesquelles son double numérique affirme venir du futur et annonce des catastrophes à venir.

Rien d'interdit par le contrat, qui proscrit uniquement l'usage à des fins pornographiques, ou liées à l'alcool et au tabac. « C'est assez surréaliste. Je ne sais pas pourquoi (en signant le contrat) je m'imaginais devenir une sorte de dessin animé », dit-il.

Mais « c'est une somme correcte pour peu de travail », reconnaît-il.

Propagande

Mauvaise surprise aussi, en 2022, pour le comédien et mannequin anglais Connor Yeates, qui signe avec la société Synthesia un contrat de trois ans pour 4 600 euros.

Il dormait à l'époque sur le canapé d'un ami, rapporte-t-il au Guardian en 2024. « Je n'ai pas de parents riches, j'avais besoin d'argent et cela m'a semblé être une bonne opportunité ». Il découvre ensuite que son image est utilisée à des fins politiques, notamment pour promouvoir Ibrahim Traoré, président du Burkina Faso porté au pouvoir par un coup d'État en 2022.

« Il y a trois ans, certaines vidéos ont échappé à notre modération parce que notre système n'était pas bien équipé pour traiter les contenus polarisants ou exagérés », reconnaît M. Voica, chez Synthesia.

L'entreprise assure avoir instauré de nouvelles procédures. Mais d'autres plateformes ont depuis vu le jour et appliquent des règles beaucoup moins strictes, comme a pu le constater une journaliste de l'AFP en faisant dire des énormités à un avatar disponible sur l'une d'elles.

De nombreuses personnes « ignorent la portée réelle de ce qu'elles signent », prévient Alyssa Malchiodi, avocate spécialisée en droit des affaires. Elles « découvrent qu'elles ont cédé des droits étendus, parfois à perpétuité, sans contrôle sur les contenus générés ».

Les contrats contiennent souvent des clauses considérées comme abusives : exploitation mondiale, illimitée, irrévocable, sans droit à la rétractation.

« Le droit ne suit pas la vitesse de développement de l'IA », déplore l'avocate. « Ce ne sont pas des visages inventés », insiste-t-elle, mais des personnes réelles que l'IA n'efface pas, mais expose. « Il faut être prudent ».

Par Dounia MAHIEDDINE / AFP 

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