
Le groupe islamiste Hay’at Tahrir al-Sham (HTS) a su développer, au fil des années, un véritable arsenal militaire et former une armée à la fois professionnelle et homogène. Un défi pourtant conséquent à sa formation en 2017, issue de la fusion de Jabhat Fatah al-Sham (anciennement Al-Nosra) et de cinq autres groupes jihadistes.
Selon les experts internationaux, le groupe pouvait mobiliser environ 30.000 soldats, dont 15.000 sont combattants à temps plein. Il pouvait également compter sur le soutien d’autres groupes armés également issus de l’opposition.
Un arsenal varié et performant
Dès sa création, HTS a pu bénéficier de tous les armements que disposaient les différents groupes qui le composent. Les armes légères sont particulièrement faciles à obtenir en Syrie depuis le début de la guerre grâce au soutien de la Turquie, des pays du Golfe et des États-Unis envers les groupes rebelles.
En prenant le contrôle de la région d’Idlib, HTS va confisquer de nombreuses armes appartenant à d’autres groupes rebelles. Il a également récupéré des armes au fur et à mesure des combats, en provenance du gouvernement syrien, du Hezbollah ou d’autres groupes combattants. Les combattants vont ainsi disposer de chars et de véhicules blindés, mais aussi de missiles anti-aériens.
Le groupe dispose également d’une industrie locale de fabrication d’armes, produisant notamment des missiles longue portée, des roquettes, des obus de mortier et des drones. La production de drones par HTS fait débat parmi les experts internationaux, certains estimant qu’ils sont produits à partir d’imprimantes 3D dans des petits ateliers s’inspirant de modèles iraniens et russes récupérés sur le champ de bataille ou au contraire à partir de prototypes étrangers notamment ukrainiens. En effet, plusieurs médias ukrainiens et américains ont affirmé que des drones ukrainiens avaient été fournis à HTS.
D’autres experts encore penchent plutôt du côté de la Turquie, estimant que les forces turques ont fourni des drones au mouvement et ont formé les combattants à leur utilisation. “Les drones suicides sont très utilisés en Ukraine”, note Thomas Pierret, chercheur au CNRS et spécialiste de la Syrie, “on n’a jamais vraiment eu de preuve de l’implication des services ukrainiens, ce sont les Russes qui les ont accusés peu avant l’offensive contre Damas”.
“En tout cas, c’est une possibilité que HTS se soit inspiré des drones ukrainiens ou des drones iraniens et russes. Mais ils ont aussi été créatifs, ils ont créé les drones suicides shaheen dont ils ont fait un usage intensif pendant leurs opérations”, ajoute-t-il.
En octobre 2023, une attaque au drone a provoqué la mort de plus de 100 personnes lors d’une remise de diplômes d’officiers de l’armée syrienne à Homs. Si l’attaque n’a pas été revendiquée, beaucoup d’experts dont Aaron Y. Zelin estiment que HTS était responsable de l’attaque. Les drones sont la spécialité de la brigade Al-Shaheen de HTS qui utilise et développe des drones depuis plusieurs années.
Une formation efficace
Selon le Financial Times, HTS va mettre en place, au fil des années, une véritable armée, disposant d’une académie militaire et d’un commandement centralisé. Le groupe va convaincre d’anciens officiers de l’armée syrienne de s’occuper de l’académie militaire en reproduisant l’enseignement du service militaire avec une formation de neuf mois.
Le groupe était organisé en quatre armées principales, chacune portant le nom d'un des quatre premiers califes. Il disposait également de brigades indépendantes, dont sa force spéciale Al-Asaib al-Hamra qui menait essentiellement des opérations derrière les lignes “ennemies”. Depuis la création du Gouvernement de salut syrien (GSS), HTS a mis en place des forces de police rattachées au ministère de l’Intérieur et un service de sécurité générale chargé de la lutte contre le crime organisé, le trafic de drogue et la lutte contre l'État islamique.
Selon un rapport du Washington Institute daté de février 2020, HTS a mené des campagnes sur les réseaux sociaux, notamment sur WhatsApp et Telegram afin de recruter de nouveaux combattants. Leurs salaires selon cette étude varient en fonction des années et de leur statut, du taux de change et de leur affectation. À titre d’exemple, en septembre 2019, le salaire mensuel était de 45.000 livres syriennes (entre 41 et 45 dollars) pour une personne mariée et de 38.000 livres syriennes (entre 35 et 38 dollars) pour une personne seule.
HTS va également soutenir des campagnes “indépendantes” sur les réseaux sociaux, comme “équiper un raider” en 2019 qui appelle au don via WhatsApp pour acheter des équipements militaires, ou “mobiliser” en 2020 qui vise à recruter des soldats pour contrer les attaques russes et du gouvernement syrien.
Un soutien international faible mais présent
Si HTS a bénéficié du soutien indirect de plusieurs pays comme la Turquie, les États-Unis et des pays du Golfe en récupérant leurs armes auprès d’autres factions rebelles plus modérées, il aurait également obtenu des soutiens internationaux plus concrets selon certains experts.
À titre d’exemple, Israël est connu pour avoir soigné des rebelles du sud de la Syrie et notamment des membres de Jabhat al-Nosra au début de la guerre. En 2019, un commandant israélien a confirmé qu'Israël avait armé certains groupes rebelles, mais il n’y a pas de preuves probantes montrant une réelle implication israélienne sur le long terme auprès de HTS.
Cependant, dans sa stratégie de “normalisation” sur la scène internationale, HTS va travailler pour redorer son image en combattant les ennemis de l'Occident comme l’État islamique et Al-Qaïda. Entre 2018 et 2022, HTS va mener 59 opérations contre l’État islamique et arrêter 279 personnes selon Aaron Y. Zelin. Le groupe combattait aussi régulièrement contre Hourras al-Din, une frange de Jabhat al-Nosra qui a refusé de quitter Al-Qaïda.
Plusieurs experts considèrent que HTS a collaboré avec la coalition internationale pour combattre l’EI et Al-Qaïda afin de se légitimer sur le plan international. “HTS a été un partenaire essentiel pour les États-Unis en Syrie, grâce à la coordination entre HTS et les services de renseignement”, confirme à Ici Beyrouth Tammy Palacios, analyste en contre-terrorisme au sein du New Lines Institute. “Cela nous a permis de neutraliser un grand nombre de membres de groupes extrémistes, y compris certains opérateurs d'Al-Qaïda et de l'EI, à travers la Syrie, en Irak et dans d'autres régions du Moyen-Orient. Cette coopération a été très réussie au cours des dernières années”, déclare-t-elle.
Ainsi, malgré la récompense de 10 millions de dollars pour la capture du leader de HTS Abou Mohammad al-Joulani, les Américains n’ont jamais vraiment cherché à le capturer ou à le tuer ces dernières années, au point que Joulani se déplaçait librement à Idlib.
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