
La troupe Free-vol revient avec Potiche, une comédie irrésistible jouée sur les planches de l’Alba, au profit de causes solidaires. Sept comédiens amateurs de la compagnie Free-Vol relèvent le défi d’un théâtre vivant, drôle et engagé. Ici Beyrouth s’est entretenu avec Valérie Debahy, co-fondatrice de la troupe, metteuse en scène et comédienne.
La comédie Potiche investit la scène de l’Alba, à Beyrouth. Présentée par la troupe amateur Free-vol, cette pièce au rythme enlevé est jouée au profit d’associations caritatives. La metteuse en scène et comédienne, co-fondatrice de la troupe, Valérie Debahy, répond aux questions d’Ici Beyrouth.
Monter une pièce de théâtre au Liban est loin d’être un acte anodin. Dans un pays en crise, où le quotidien vacille entre espoir et instabilité, le théâtre devient un espace de respiration, une forme de résistance culturelle essentielle. Comme l’explique la metteuse en scène: “Monter une pièce au Liban, c’est un acte de résistance, un souffle de vie dans ce pays qui vacille entre crise et espoir. Le théâtre y est une ancre, un lien qui unit, un moment de suspension où l’on peut encore rire. C’est affirmer que la beauté et l’émotion ont encore leur place.”
C’est dans cet esprit que le choix du théâtre de boulevard s’est imposé. Loin d’être superficiel, ce genre théâtral repose sur une mécanique rigoureuse qui demande une grande précision. “Le théâtre de boulevard, ce n’est pas du théâtre naïf. Il faut créer du rythme, de la surprise, tout en gardant la justesse qui rend les personnages attachants. Le rire est une arme, une soupape, et il permet au public d’oublier un temps la pesanteur du réel.” Monter une comédie dans ce contexte devient alors une manière de résister, de rappeler que, même dans l’adversité, il existe un espace pour la joie et le rire collectif.
La mise en scène, pensée comme une partition fluide et percutante, repose sur une rigueur millimétrée. Chaque mouvement, chaque déplacement est étudié pour servir le comique de situation ou souligner un trait de caractère. “La mécanique du comique repose sur un découpage très précis, des interruptions, des chevauchements de dialogues… Tout est orchestré pour donner l’illusion de la spontanéité.” Le texte devient un terrain de jeu pour les comédiens, enrichi de musique pour insuffler de la joie au spectacle.
La création de Potiche, jouée par la troupe Free-vol, n’a pas été sans embûches. Initialement prévue pour octobre, la pièce a dû être entièrement repensée après la guerre et le départ de deux acteurs. “Nous avons recommencé à zéro. Je travaille avec des amateurs, donc je sais exactement ce que je peux tirer de chacun et où sont leurs limites. Le personnage, sa mise en scène, tout est repensé en fonction de la personne qui l’interprète.” C’est une adaptation constante, mais aussi une source de richesse.
La direction d’acteurs repose avant tout sur une confiance mutuelle. “Je connais l’énergie de chacun, leur façon d’habiter un rôle. Je ne cherche pas une lecture figée du personnage, mais j’ajuste le tempo, les ruptures, la tonalité pour que chacun puisse s’approprier son rôle.” Le travail sur la diction, la posture, le regard et surtout l’écoute mutuelle sont au cœur du processus. “Un acteur ne peut pas évoluer seul sur scène, il doit sortir de sa bulle.” Cette alchimie est possible grâce à une troupe soudée depuis plus de douze ans. “Nous en sommes à notre dixième pièce. Ce lien me permet de pousser chacun à sortir de sa zone de confort.”
Potiche n’a pas été choisie par hasard. Ce grand classique popularisé par Catherine Deneuve dans l’adaptation de François Ozon, raconte la transformation d’une femme en apparence futile en stratège redoutable. “Derrière cette image de femme mondaine et passive, se cache une force silencieuse, comme celle de tant de femmes libanaises, piliers de leur famille dans le chaos ambiant.” Le personnage du mari, autoritaire et rigide, incarne une figure dépassée, à la fois comique et pathétique, qui croit tout contrôler alors qu’il est en réalité manipulé par sa femme.
Enfin, cette aventure n’aurait pas été possible sans le travail collectif. “La troupe Free-vol compte une quinzaine de personnes qui travaillent d’arrache-pied. Certains répètent quatre fois par semaine après leur travail. Ce sont des passionnés.” Les coulisses aussi sont essentielles: lumière, costumes, décor, sponsors. “Sans eux, nous n’aurions pas pu aboutir à un spectacle de cette qualité.” En dix pièces, la troupe a permis de générer “plus de 630.000 dollars reversés à diverses associations”, prouvant que l’engagement artistique peut aussi être solidaire.
Jusqu’au 3 avril sur les planches de l’Alba.
Commentaires