Au Soudan, la ruée vers l'or via les Émirats pour financer la guerre
Des résidus de mines d'or sont empilés près d'un champ agricole, dans le village soudanais de Banat, dans l'État du Nil, au nord de Khartoum, le 6 juin 2022. L'industrie aurifère soudanaise est en plein essor grâce aux financements émiratis, mais au lieu de contribuer à mettre fin à la guerre, elle l'alimente en enrichissant à la fois l'armée et les paramilitaires, selon des données officielles et d'ONG. ©Ashraf SHAZLY / AFP

L'industrie de l'or est en plein essor au Soudan, mais au lieu de profiter à la population de ce pays l'un des plus pauvres du monde, le métal jaune est devenu via les Émirats le nerf de la guerre entre l'armée les paramilitaires.

Le conflit qui a débuté le 15 avril 2023 entre l'armée du général Abdel Fattah al-Burhane et les Forces de soutien rapide (FSR) menées par son ex-adjoint, Mohammed Hamdane Daglo, a décimé l'économie de ce pays d'Afrique de l'Est.

Mais le gouvernement soutenu par l'armée a annoncé en février des exportations d'or record en 2024.

La demande pour les énormes réserves d'or du Soudan, longtemps convoitées par des investisseurs tels que le groupe mercenaire russe Wagner, est "un facteur clé de la prolongation de la guerre", a déclaré à l'AFP l'économiste soudanais Abdelazim al-Amawy.

"Pour comprendre la guerre au Soudan, il faut suivre la trace de l'or, et elle nous conduit aux Emirats arabes unis", explique à l'AFP Marc Ummel, chercheur auprès de l’ONG Swissaid, chargée de suivre la contrebande d'or africain vers cet Etat du Golfe.

Interrogé par l'AFP, un responsable des Émirats arabes unis a rejeté "les allégations de contrebande d'or en provenance du Soudan" et réfuté "toute affirmation sans fondement concernant la contrebande ou le profit de l'or".

Mais selon des sources gouvernementales soudanaises, du secteur aurifère et des documents de Swissaid, la quasi-totalité de l'or du Soudan finit aux Émirats, via des circuits commerciaux légaux ou clandestins.

Contrebande

En février, la Sudan Mineral Resources Company, une entreprise publique, a indiqué que 64 tonnes d'or ont été produits en 2024, contre 41,8 tonnes en 2022, avant la guerre.

Si l'or a rapporté 1,57 milliard de dollars aux caisses de l'État, selon la Banque centrale "près de la moitié de la production passe en contrebande à travers les frontières", a déclaré à l'AFP Mohammed Taher, directeur de la SMRC, depuis Port-Soudan, la capitale de facto du pays.

À près de 2.000 km de là, à la frontière entre le Soudan, le Soudan du Sud et le Centrafrique, des mines qui font partie de l'empire aurifère des FSR sont en pleine expansion.

La grande majorité de l'or des deux camps est acheminée illégalement au Tchad, au Soudan du Sud et en Égypte, avant d'être exportée aux Émirats, selon des sources de l’industrie minière.

En mars, le Soudan a déposé une plainte auprès de la Cour internationale de justice, accusant les Émirats de complicité dans le "génocide" commis par les FSR au Darfour.

Abou Dhabi a dénoncé un "coup de pub" et a accusé l'armée "d'atrocités".

Les Émirats contribuent aussi dans une large mesure à l'essor de la production d'or dont bénéficie le gouvernement soudanais, ce qui lui permet de financer son effort de guerre.

Selon Taher, 90% de l'or soudanais est exporté vers les Émirats, mais d'autres marchés, comme le Qatar et la Turquie, sont envisagés.

Élément fondamental

Au cœur du territoire contrôlé par les militaires, à mi-chemin entre Port-Soudan et Khartoum, la mine de Kush est le fleuron de l'industrie aurifère contrôlée par le gouvernement.

Evacuée au début du conflit, elle produit de nouveau des centaines de kilos d'or chaque mois, selon un ingénieur de l'usine. Un porte-parole d'Emiral, propriétaire de la mine, a confirmé à l'AFP que "la production a(vait) repris de manière limitée".

Sur son site Internet, Emiral, basée à Dubaï, mentionne Kush comme l'un de ses actifs via sa filiale Alliance for Mining, qui est selon elle "le plus grand producteur d'or au Soudan".

Une source du secteur affirme que cette société, à l’origine russe, a été "rachetée en 2020 par un investisseur émirati tout en conservant sa direction russe".

Les Émirats sont le deuxième plus grand centre aurifère du monde et la principale destination de l'or africain de contrebande.

Abou Dhabi affirme avoir adopté une "politique de diligence pour un approvisionnement responsable en or", comprenant un cadre réglementaire.

Mais selon M. Ummel, "ce n'est pas le cas."

"Si cette politique (...) était vraiment appliquée, toutes les raffineries des Émirats arabes unis devraient" notamment "s'assurer que l'or a été déclaré dans le pays d'où il provient", souligne-t-il.

En 2023, des données de Swissaid ont révélé que les Émirats importaient du Tchad – à la frontière ouest du Soudan – deux fois plus d'or que la capacité maximale estimée du pays, suggérant qu'une large part provenait de la contrebande.

Absence de contrôles

Au Darfour, dans l'ouest du pays, où ses troupes sont accusées de génocide, le chef des FSR, Mohamed Hamdane Daglo, contrôle des mines d'or très lucratives.

Selon l'expert Alex de Waal, Mohamed Hamdane Daglo a bâti une "entreprise mercenaire transnationale", principalement via la société familiale Al Junaid Multi Activities, sanctionnée" par les États-Unis et l'Union européenne.

A la faveur d'un réseau alimenté par l'or comptant jusqu'à 50 entreprises, le général Daglo a accumulé une énorme richesse, qui lui a permis "d'acquérir des armes, de payer des salaires, de financer des campagnes médiatiques et de faire pression sur d'autres groupes pour acheter leur soutien", ont indiqué des experts de l'ONU l'an dernier.

Trois anciens ingénieurs d'Al-Junaid ont estimé que les revenus de la société en temps de guerre s'élevaient au minimum à un milliard de dollars par an.

La seule région frontalière du sud du Darfour produit au moins 150 kilos d'or par mois, a déclaré à l'AFP l'un des ingénieurs.

L'or est acheminé vers un aéroport de Raga au Soudan du Sud, à 200 km de la frontière, "puis transporté par avion vers l'Ouganda et le Kenya, puis vers les Émirats arabes unis", a-t-il déclaré sous couvert d'anonymat.

Selon M. Ummel, "les Émirats n'appliquent pas vraiment leur réglementation, ils n'effectuent pas tous les contrôles nécessaires, et continuent donc ainsi à financer la guerre."

 

Avec AFP

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